Depuis des années je rencontre le fascinant travail de MARILENA PELOSI au grès de mes périples et de mes visites d'exposition.
Philippe Carcaly aime lui aussi son travail et m'a proposé ses commentaires sur l'exposition qui vient de se terminer à Paris chez Christian Berst.
(photos Google)
Philippe Carcaly aime lui aussi son travail et m'a proposé ses commentaires sur l'exposition qui vient de se terminer à Paris chez Christian Berst.
(photos Google)
Les lignes suivantes ont été rédigées à partir du catalogue
de l’exposition (28 janvier-25 février 20017) de Marilena Pelosi, Catharsis
et de quelques commentaires personnels, m'écrit Philippe Carcaly :
« Ce sont les gens normaux qui deviennent fous. Mais comme je ne l’ai jamais été, je ne risque rien ». En disant cela, Marilena Pelosi bat en brèche, sans le vouloir, l’idée même de normalité et de son corollaire, la folie. L’artiste qu’elle est devenue s’est néanmoins construite sur le terreau d’une altérité nourrie des séismes de son existence.(1)
« Ce sont les gens normaux qui deviennent fous. Mais comme je ne l’ai jamais été, je ne risque rien ». En disant cela, Marilena Pelosi bat en brèche, sans le vouloir, l’idée même de normalité et de son corollaire, la folie. L’artiste qu’elle est devenue s’est néanmoins construite sur le terreau d’une altérité nourrie des séismes de son existence.(1)
L’artiste Marilena Pelosi
est née en 1957 à Rio de Janeiro au Brésil, aujourd’hui elle vit et
dessine à Gauville-la- Campagne dans l’Eure. Son exposition Catharsis, à
la Galerie Christian Berst à Paris vient de prendre fin, le catalogue éponyme,
permet de cerner une œuvre, qui par bien des aspects, affirme sa grande
inventivité, son originalité et réussit à
étonner, surprendre, en abordant des thématiques où si, selon Laurent
Quéhénen, trois mondes se croisent :
le sexuel, le médical et le carnaval. (2), ils constituent un passage vers
d’autres horizons, que l’admirateur que je suis, a cru discerner.
"Née en 1957 à Rio de Janeiro, Marilena aurait aimé faire les Beaux-Arts :
« Heureusement, je n’y pas allée, peut-être qu’on m’aurait appris à
dessiner correctement ». C’est à l’âge de 16 ans, à la suite d’une maladie
grave, qu’elle commence à produire des œuvres dans lesquelles le catholicisme
exubérant et la macumba fiévreuse de son Brésil natal tournoient jusqu’au
délire. Les réminiscences de transes, de processions eucharistiques, de
carnavals endiablés sont inextricablement mêlées à des évocations bien plus
intimes : l’enfance recluse, la fuite d’un mariage forcé avec un prêtre vaudou,
les années d’errance à travers le monde, en quête d’un havre… » (1)
Enfant Marilena était
quasi autiste, plongée dans une sorte de léthargie dont ne devait la tirer que le premier joint, fumé à
l’adolescence. C’est pour échapper au mariage forcé avec un prêtre de la
macumba, le vaudou brésilien, qu’elle a dû ensuite fuir son pays
définitivement. D’où une période de voyages et d’errance ponctuée par deux
mariages, au terme desquels elle a pu se reconstruire par la création. Loin
d’être un plaisir pervers, dessiner pour elle est une résurrection, un exorcisme,
le seul moyen sans doute de se libérer d’une enfance malsaine, longtemps subie
comme une maladie. « Si je ne dessinais pas
ça, dit-elle je serais morte. Mais je n’ai aucune pensée du Mal quand je le
fais. Ce sont des symboles d’une alchimie mentale qui est intense. » A
ceux qui pourraient la croire dérangée, elle objecte : « Je ne
deviendrai jamais folle parce que je ne suis pas très normale. Ce sont les gens
normaux qui deviennent fous Mais comme je ne l’ai jamais été, je ne risque
rien. » Et en riant elle ajoute : « Avec mes dessins, j’ai même
guéri mon psychiatre ». Guéri de quoi ? « De son
indifférence. » (3)
La majorité des
œuvres présentées lors de l’exposition sont de petits formats :
« Pour ses petits formats,
bicolores, ou monochromes, elle utilise en général le feutre ou le stylo bille,
mais elle a aussi toute une production de grands dessins coloriés de couleurs
vives, réalisés le plus souvent sur papier calque, un support qu’elle aime
comme « un rêve dans un rêve ». Guidée par la scène à « mettre
sur le papier », elle n’a jamais fait de croquis préalable et dessine
directement, en ligne claire comme dans la BD, sans possibilité de repentir.
D’où des surimpressions et les corps transparents, la chaise ou le lit vus à
travers le personnage par exemple, comme des dessins d’enfants. Puis l’image
achevée, le titre s’impose : « Femme immortelle prise dans un piège
mortel », « Levier de revenance », « Manger sa dernière
chance de pardon … ». Dans sa jeunesse au Brésil, passionnée de
surréalisme, Marilena aurait bien voulu faire les beaux-arts, mais comme elle
dit heureusement que je n’y suis pas allée, peut-être qu’on m’aurait appris à
dessiner correctement ». Du coup elle a pu inventer son propre code et sa
façon personnelle de dessiner, une écriture symbolique qui la rapproche des
auteurs de l’art brut, surtout des dessinateurs médiumniques, la seule famille
artistique avec laquelle elle se sente vraiment en affinité. Car quand Marilena
se met au travail-« parfois deux dessins à la suite dans le même
jour »-l’image, en fait est déjà là, « accomplie dans
l’invisible », sa main n’a plus qu’à suivre ce qui lui est imposé.
« ça vient très facilement sans poser de questions c’est très drôle. Je ne
peux pas contrarier les dessins, ni les titres, ils doivent tellement être ce
qu’ils sont, ils ont comme une vie autonome. » (3)
Laurent Quénéhen, insiste quant à lui sur l’espace non occupé
par le dessin. Le fond de l’oeuvre étant constitué par la feuille elle-même, ce
qui comme on peut le lire ci-dessous crée une « circulation salutaire », le vide est en effet « le lieu où s’opèrent les
transformations », transformations physiques des objets…… » (4)
et des figures, en ce qui concerne Marilena Pelosi.
« Ses œuvres sont
cadrées, elle fabrique des scènes qui laissent une marge blanche entre son
trait et la limite du papier ; c’est une fosse qui donne la possibilité
d’un regard extérieur, une impression de séquence théâtrale, d’ailleurs ses
personnages sont quelquefois représentés sur un plateau. Ses productions ont un
caractère expiatoire, le non-dessiné permet l’usage du vide, à l’instar de la
peinture chinoise ancienne, cela crée ainsi une circulation salutaire. »
(2) «Son trait rappelle celui des
dessins d’enfants, mais sans individuation. Les yeux des femmes sont ouverts ou
absents, comme ceux des morts-vivants. Parfois les traits sont au simple stylo,
scène précise, mais parcellaire. » (2)
Quelques uns de ses chef d’œuvres, mais ils sont très
minoritaires, placés dans un espace annexe, déploient, par l’utilisation de
feutre et de crayon aux teintes riches et nombreuses, leur couleurs,
exubérantes, et finissent par détonner : « D’autres sont remplis de couleurs vives,
celles du carnaval ou du cirque, représentent alors une séquence entière.
L’ensemble de ce qui se joue dans cette usine de soins effraie, violente et
guérit. » (2)
Aux dessins viennent s’ajouter parfois quelques didascalies,
qui ne nous éclairent pas vraiment sur ce que l’artiste a dessiné.
« Les didascalies
qu’elle sème parfois dans la marge, au lieu de nous renseigner,
renforcent l’étrangeté de ces saynètes sauvages tracées d’un trait sobre, sans
artifice, presque clinique. En jaillissent de cruelles fééries dans lesquelles
le sens se dérobe, défie la raison-la sienne en premier-mais dont tout,
absolument tout, transpire la résilience. C’est comme si nous assistions-à
travers ce théâtre de la réparation fait de germinations, de floraisons, de
simulacres de noces barbares, de fluides séminaux et de renaissances
érotisées-à la plus vibrante des carthasis. » (1)
« Certains
artistes ont un lien direct avec le « ça » perché, l’inconscient,
c’est un travail du sensible qui déjoue le manque de formation institutionnelle,
ils sont aux aguets. Ce qui est
tracé par la main de Marilena Pelosi se ressent sous la peau, l’intensité est
au maximum, mais cela n’exclut pas l’agencement et la classification. »
(2)
Pour Laurent Quénéhen « Trois mondes se croisent : le sexuel, le médical et le
carnaval. »
« Le carnaval suggère un retour vers
l’enfance c’est le ressenti devant les géants des défilés. Lorsque l’angoisse
est prégnante l’adulte redevient enfant sans défense, rempli de perceptions
affolantes. La projection des peurs dans l’image construit un pare-feu,
l’angoisse et les pulsions sont sorties des entrailles, c’est en substance
« Guernica » de Pablo Picasso. Les fondements de Marilena Pelosi
s’apparentent à cette œuvre majeure, notamment par le rappel de l’éclairage électrique,
mais la répétition des séquences évoque chez Marilena le regard du commandeur,
un médecin harceleur qui surveille le
théâtre des opérations.
Derrière le Carnaval et Picasso, celui de Guernica en tout
cas, comment ne pas entrevoir aussi les
grandes tragédies du XX°siècle. D’abord
celles des massacres de masse, de la mort industrielle, qui en soit, fut
derrière les masques des criminels, ceux des victimes de ce carnaval funéraire,
que nombre de travaux peuvent évoquer,
par les corps dénudés, amassés, transpercés, amputés, les crânes rasés ……Et
puis apparait le médical, mais pas n’importe lequel, celui de la
« médecine- tortionnaire », oxymore né bien involontairement par le
biais de certaines thérapies asilaires ou délibérément pour ce qui des camps du
III° Reich.
Le personnage féminin
est arrosé souvent, aspergé d’eau froide. Cette armée de femmes est
tortionnaire et victime, parfois femmes-hommes, elles deviennent
collaboratrices à leur propre souffrance et réhabilitation. Le trait de ses
dessins a évolué ces dernières années,
s’est augmenté de fines hachures : bourses pleines et poils apparaissent,
mais les liens sont plus rares qu’auparavant; les êtres deviennent plus
autonomes, indépendants. Les
personnages de Marilena pourraient venir d’un cirque de cruauté. Le carnaval renverse
les valeurs du bien et du mal, de l’homme et de la femme. Ici les séquences
semblent de l’ordre du sadomasochisme, les fluides coulent, les corps sont
découpés, pénétrés, sauvés par les femmes papillons, les femmes abeilles et les
fleurs. L’homme devient parfois un personnage féminin et la femme prend les
formes du masculin ou de l’animal. C’est
un rêve éveillé puissant, Marilena dessine ses vibrations internes. Ce sont des
liens, ce qui se joue entre les êtres à chaque instant. Cela se remet debout
dans le cirque qu’elle cite plusieurs fois : pubis fournis et sexes
masculins en forme de saucisse, gros bâtons ronds qui provoquent l’effroi et le
rire. Les hommes chauves se masturbent sur le côté lors des séances de soins,
certaines deviennent des femmes-troncs sur roulettes, des femmes supports de
phares ou tubes phalliques, le plus souvent des lumières scintillent comme des
projecteurs, les met en valeur sur la piste. Ce sont des diablesses à la langue
bien pendue, dans des cirques, bras en l’air, cheveux fleuris, les monstres et
objets se partagent la feuille. Ses personnages sont casqués par des chevelures
très marquées ou se déploient comme nuages évanescents frisés ou cheveux à
moitié sur le crâne, ou carrément absent chauve. Les cheveux captent les ondes
du ciel, ce sont des antennes frisées, leur absence transforme la tête en sexe
masculin, la moitié forme un androgyne, un être spirituel et sexuel.
Ses dessins sont structurés comme une usine en
pleine activité, c’est un cirque forain, on monte, on descend, on remplit puis
on longe parfois ses bras sans fin qui encerclent les ustensiles. Cela se
déroule souvent dans le : « Cirque Ambroise Secret-CMP ». Le CMP
est un Centre Médical psychologique Centre de Santé psychiatrique que l’on
trouve dans toutes les grandes villes. Les liens qui circulent entre les êtres
et les choses sont toujours présents, tout est lié par ceci ou cela. C’est une
fonction mécanique et utile de l’être.
Cela peut partir
du cœur ou de la bouche, mais le plus
souvent du ventre pour entrer dans les oreilles, le vagin, les orifices et
ressortir comme un serpent médical. Le corps est une usine qui se transforme en insecte, des
robes sont cousues à même la peau, la langue pend, du jus coule des êtres et se
retrouve aspiré par d’autres. Les fleurs sont attachées, reliées parfois à des
croix juteuses. Marilena n’oublie pas l’ironie dans ses annotations, elle
commente un dessin de femmes harnachées et infiltrer de toute part :
« se figurer une certaine liberté ».
Apparaissent également
des signes de la religion catholique, les expériences vaudous et les
mutilations qui rappellent les sacrifices chez les Incas ou l’origine des
religions : la théosophie analogique. L’ascèse comme le dérèglement des
sens donnent accès au spirituel. Le théosophe est à la fois artiste, prêtre et
philosophe, des mouvements se perpétuent au fil du temps, c’est le New Age et
la Nouvelle Acropole en Amérique du Sud. Cette société inspirée des pratiques
militaires comporte une brigade féminine et des forces vives. Marilena évoque
la nécessité d’un passeur : « les vertus de ses pensées mobiles
restaient encore cachées. Un agent de liaison est nécessaire ».
La femme et sa
sexualité sont des axes majeurs des dessins de Marilena Pelosi. C’est une femme
en quête d’amour qui répond à une demande mystérieuse de soins, elle est
essentiellement représentée comme une poupée russe qui s’emboite, femme objet
pénétrée, les cheveux et les poils pubiens en avant. La femme à un corps utile
à l’expérimentation. C’est une femme soumise à d’autres sœurs-jumelles ou mère
miroirs, plus petits ou plus grands, étirées parfois par ses membres, on tente
de l’adapter à la bouche comme un vulgaire chewing-gum. Mais ces femmes se soutiennent mutuellement, c’est un univers
potentiellement saphique, un monde multiple, Marilena écrit : » Elles
s’aiment beaucoup. Oui, elles sont vraiment très proches les unes des
autres ». Dans certains dessins, la femme est omnipotente : pot de
fleur, lampadaire, support de croix, chaise, alimentée par les gouttes de savon
ou de sang. La femme est trouée, les viscères à l’air, le cœur transpercé,
vidé. Sur ce théâtre des opérations, les femmes sont des vases à remplir sous
l’autel. L’important est de combler les trous, tous les trous. C’est ce
qu’organise Marilena dans ses dessins : une usine de découpage, recadrage
où elle tente d’échapper à quelque chose qui la remplit, mais la tue. Elle
note : « Recréation, se faire des ailes et ne plus aller vers
lui ».
Des femmes sont
parfois accompagnées d’un haricot géant,
une espèce de grande oreille qui sur le ventre ou posé sur la tête, un genre
d’objet sexuel ou transitionnel. La femme est en l’absence d’amour et les
haricots durs se sont substitués aux songes, c’est un monde sans sentiment qui
laisse la jeune femme s’armer désespérément de machines à envoyer des cœurs et
des fleurs.
Le travail de Marilena
Pelosi condense et projette la puissance du désir féminin et ce qui lui fait
barrage: la culpabilité, la religion et l’obligation de soins. Elle dessine
l’histoire de cette emprise profonde et trace les attaches invisibles des
manipulations internes et externes, à double interprétation, du mal qui est
fait et qui permet d’échafauder des solutions : « rester accrochée à
ses mailles pour ne pas mourir », elle crée des allitérations poétiques
dans ses commentaires : « la fonction du double défrisement dans la
protection d’une floraison tardive ». Marilena trouve des solutions
plastiques et esthétiques aérées, c’est un espace stellaire où se joue la
survie ; »Femme immortelle prise dans un piège mortel ». Son
monde virevolte entre l’envie et la défiance, le plaisir et la souffrance, le
bien et le mal ; elle annote un dessin : »Un parfum délicieux
encerclait cette nourriture pourtant très mauvaise pour la santé ».
Marilena Pelosi échappe à l’indigestion par la création, un crayon révélateur à
la main. (2)
Ouvrage monographique, 48 pages en couleur, 20 x 20 cm
Ouvrage coédité avec les éditions Le livre d'art, 2009
Ouvrage coédité avec les éditions Le livre d'art, 2009
(1) Avant-propos de Christian Berst. p 9-10
(2) Préface
de Laurent Quénéhen (commissaire d’exposition indépendant et critique d’art) p
12 à 17
(3) Laurent Danchin : l’anti vaudou
de Marilena Pelosi.p 18 à 21
(4) Odile le Guern : Du vide au rien entre expérience
esthétique et expérience esthétique (le vide en peinture),
epubloication.unilim.fr 28 janvier 2014.
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