Après des coups de cœur répétés voici une rencontre et une visite d'atelier que je rêve de faire en 2020 !
Pour accompagner ma sélection de photos aujourd'hui un texte de
Geneviève Brun écrit pour l'exposition au Vieux Moulin à Millau en juin 2010:
Au commencement
Au commencement était l'enfance. Les dessins d'enfant : avec de grosses têtes rondes ou d'improbables parallélépipèdes, accolés à des corps déstructurés, membres inachevés, accrochés au hasard, jetés en mouvements dans un espace indéfini, où ils jouent avec les rêves.
Ainsi, des figurines de feutre, comme des dessins d'enfant. Mais d'où vient alors ce sentiment de gravité qui saisit en les regardant ? Les enfants ont grandi. Ils sont devenus roi ou danseuse. Bien peu sourient. Certains ont pris clandestinement les armes contre le monde adulte. Résistance du silence : une, deux, trois femmes au fusil. Mais qui devinerait que cette chose sombre qui prolonge le corps en ligne droite, ou bien est serré raide entre les rondeurs des bras croisés, est une arme ? Nadine Vergues, avec son fin visage blond, sait-elle elle-même sa force, cette résistance à l'enfermement dans des classifications ? Elle qui, trahissant en secret la douceur féminine des tissus, s'est saisi du rude feutre industriel, l'a découpé et soudé au fer, troué au décapeur thermique. Puis a fait fondre au fer à repasser le plastique coloré insoupçonnable non-tissé, sacs de supermarché, tyvek- avec l'exactitude d'un coup de pinceau, mystifiant le regard qui croit voir partout la peinture qui n'est nulle part. Enfin, avec une minutie de dentellière, elle a animé ces visages et ces corps, rebrodé à la main l'œil violet, le V souriant d'une bouche orangée, la coulure d'un si bel ocre rouge comme un tatouage ou une ombre qui glisserait du visage au long du corps. La lumière rasante dessine les reliefs des brûlures – ici comme des poils frisés dressés dans les tissus de laine brute, là, comme un vieux crépi qui s'effriterait – approfondit les couleurs dans les matières mêlées, feutre et fils brodés en vagues de pointillés minuscules, en croix, en longs points droits. Toutes choses qui font dures et douces, matérielles et abstraites, les figures échappées de l'enfance. Le fondu et le rugueux, le féminin et le masculin. Figures énigmatiques des contraires, quelque chose en éveil qui transgresserait autant l'inquiétude que la quiétude, figures dont la troisième dimension reste invisible : celle de la profondeur d'un monde flottant gai et grave, où se confrontent sans heurt une mémoire d'enfant et un regard adulte. Plastiques fondus encore, comme un grain de terre noire ou ocre, pour des portraits aléatoires. Parfois, la pureté d'une esquisse de la Renaissance, d'une figure voilée pompéienne. Mais aussi, visages fantomatiques des encres de Michaux sous mescaline, ébauches d'un regard, d'un sourire, l'effroi ou la sérénité dans un visage sans contours. Les faces multiples de femmes et d'hommes croisés peut-être en rêve, dont on ne sait rien et qui reviennent par bribes, de l'oubli. La tribu noire est venue de loin, d'avant le temps ou d'outre temps, trois grands, plus hauts que nous, et six petits. Longs corps souples, sans pied, sans bras, surmontés du resserrement d'un cou, l'ébauche d'une tête sans crâne, comme un calice. Corps animés de mouvements contraires, éponges humaines que des vents ou des courants inclineraient de ça, de là. Au sol, trois choses en attente de forme ou qui se sont rétractées un moment dans la forme originelle, graine, fœtus, amibe, ectoplasme. Corps alvéolés comme un grillage qui enserre le vide et saisit visuellement, dans ce vide intérieur, le dehors, les passants, la lumière, les choses…
Et pourtant, sans aucun doute possible, corps habités d'humanité, rivés au sol et la tête cherchant le ciel. Ascendance des vies, cela aussi comme une certitude, cette volonté d'avancer, de grandir, de se gorger de tout ce qui vit, qui entoure et qu'absorbent les alvéoles de feutre, soudées une à une, patiemment, obstinément comme les mots accolés racontant avec amour notre histoire incertaine.
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