Les œuvres de Jacques Poulain (le père de Fabienne Poulain, une de mes amies Facebook, grande partageuse du travail des artistes) sont présentées par Pierre Gentes à LA GALERIE 75 à Rouen.
"Jacques Poulain est décédé en 2019, il a consacré sa vie à la peinture, sans répit, malgré sa maladie."
Vous pourrez découvrir ses gravures et ses pastels jusqu'au 21 octobre.
Voici aujourd'hui sur les Grigris quelques visuels et des textes écrits par le galeriste Pierre Gentes :
Jacques Poulain est une bonne découverte. Je ne dis pas une "belle" découverte pour éviter de dire " une belle personne" et tout un tas de trucs qui commencent par "belle" et qui me fait penser à " bêle"
Ce mec, le POULAIN, qui passa sa vie en Afrique, fut un travailleur compulsif. Il organisa sa vie pour pouvoir faire de la peinture, du dessin, de la sculpture, de la gravure, du pastel.
Sa fille, Fabienne, m’a demandé d’exposer quelques-unes de ses gravures et quelques pastels secs. Il faut dire que Jacques, décédé en 2019, comme tout bon peintre, a laissé à son départ un tas considérable d’œuvres. Fort heureusement, sa fille a sorti ses travaux des cartons dans lesquels ils sommeillaient en attente de vous être présentés et ils vous attendent à la GALERIE 75, tous les après-midis, de 15H à 19H ou sur rendez-vous.
Ne boudez pas votre plaisir, le travail gravé de Jacques POULAIN s’inscrit dans la grande tradition du dessin et de la narration. C’est du classique et du maîtrisé.
La plupart des cuivres ont disparus ou sont très oxydés. Les tirages qui vous sont présentés sont des épreuves d’artiste et resteront uniques, ce qui en fait un d’autant plus vibrant témoignage du passé.
Les expositions de gravures sont relativement rares. Elles n’ont pas le caractère flamboyant d’une exposition de peinture et s’adressent plus à notre intimité qu’au débordements démonstratifs d’une éventuelle décoration. Regarder une gravure ou un dessin est de l’ordre de l’intimité de la lecture, de celle que l’on dit silencieuse.
Et puis il y a le papier
et puis il y a l’encre
et les noirs
et les vides
et la puissance des traits
et la subtilité des remplissages tournoyants ou parsemés de points
Mais il y a le papier
au berceau duquel fut déposé l’épreuve
Un
pèlerinage, c’est un peu ce que fait Fabienne, la fille de Jacques, en
faisant à la GALERIE 75 à Rouen, une exposition de certaines œuvres de
son père, et en particulier des œuvres gravées.
Son
pèlerinage a commencé par un voyage quasi immobile, dans quarante
mètres carrés, faits de boites, de caisses, de cartons à dessin, où
chaque mouvement entrave le suivant, où le carton déplacé et ouvert boit
les minutes et les heures.
Fabienne fouille et trie, entasse différemment. L’été est brulant comme une évocation d’Afrique où Jacques travailla la majorité de son œuvre.
Comment
ne pas tout regarder, comment ne pas avoir envie de commenter à ceux,
qui absents, n’entendront pas les mots, qu’à peine elle prononce, comme
pour se dire la réalité de ses gestes et étayer cette curieuse idée
d’exhumation.
Fabienne
est la fille de son père ce qui est suffisant pour sacraliser un travail
qu’elle a toujours connu, mais par petits bouts, par arrivée soudaine
ou par l’absolu certitude du côtoiement habituel. Là, soudain, sous sa
main, une quantité d’années se propulsent. Il lui faut lutter contre un
vif sentiment d’indécence. Elle fouille et imagine que son père la
regarde comme elle pense le regarder dans ce fatras laissé qu’elle se
doit de garder. Ces œuvres sont des miroirs, elle imagine Jacques penché
à les réaliser. Avait-il envie de les montrer ?
Fabienne
se doit. Il ne fallait pas commencer. Il ne fallait pas regarder.
Maintenant la clé est souillée, non de sang mais d’encre. Elle a vu,
avant elle devinait, maintenant il lui faudra montrer.
Le
chemin a commencé par la ville de Jeanne, Orléans suivra donc, mais
aussi Reims et bien d’autres encore. L’œuvre de Jacques vaut tes
efforts, Fabienne.
Mettons les choses au point : cette gravure a pour titre « le chat huant », alors inutile de prétendre, comme je l’ai défendu, avec une mauvaise foi dont je me demande si je ne dois pas en tirer une certaine fierté, tant elle était portée dans l’éternité imaginaire du son de ma voix, que c’était un chat qui trônait en haut de cette gravure – gravure qui tient lieu d’affiche pour l’exposition, à la GALERIE 75, des œuvres de Jacques POULAIN. Sans doute étais-je influencé par la présence d'une souris ... la voyez-vous cette petite bête ? J'offre un verre à la galerie à qui me la montrera .... Bon, Soyons clair, c’est un chat huant ! Une bestiole volante et nocturne, un truc de 500 grammes, une espèce de rapace et en aucun cas un chat tout court, qui lui pèse un max de plus, bouffe des oiseaux, des batraciens, des souris et autres surmulots mais aussi et surtout des croquettes, mais qui est incapable de voler, sauf le chat de ma sœur, mais il ne l’a fait qu’une seule fois, lors du passage d’un pigeon… 3 étages c’était quand même une sacrée marche.
Le personnage à chapeau me fait furieusement penser à un autoportrait. J’attends la réponse de la fille de l’auteur, pour me confirmer cette hypothèse. Quoiqu’il en soit cette œuvre (31 cm x 41) a une densité narrative impressionnante et cet homme, qui trône pleine face, menton volontaire et regard décidé ne peut-être que Jacques lui-même, mais sans barbe et plus jeune.
Toute sa production gravée a été faite en Afrique et il ne reste plus aucunes plaques, seuls des tirages uniques existent, ce qui fait des ces gravures des œuvres exceptionnelles en dehors de l’excellence de leur réalisation.
Le chat huant 31,5 x 41,5
« Madame de ….. » Allez savoir qui est cette femme et ce que fait l’homme dont on distingue le visage barbu au-dessus de son épaule, est-ce son chapelier ou plutôt son plumassier, ou le peintre lui-même ?
Madame se prépare ou essaye, elle semble sereine. Elle regarde comme on se regarde dans un miroir, pour apprécier sa tenue. Un autre personnage est devant elle, une femme peut-être, avec un fichu noué sur la tête à la manière créole.
Et puis d’autres silhouettes, en bas, sur la droite ….
Tout cela est bien à la manière de Jacques POULAIN dont le trait suit la pensée en vagabondant d’une image à l’autre.
Ce qui est assuré sont la maitrise de la composition, la puissance des encrages, le plaisir des seconds plans, la lumineuse présence de certains éléments qui, comme des phares, guident notre regard et nous entrainent à la narration.
« Madame de … » est une pièce troublante. On ne regarde qu’elle qui se regarde ou qui accueille, puis on voit l’autre, derrière et l’histoire prend une autre direction, celle d’une relation qu’il nous faut inventer. Pendant ce temps Jacques Poulain s’amuse de la puissance des noirs et des gris qui soulignent la subtilité des courbes, la légèreté des étoffes et puis, sans doute las de ces développements sans fin, il évoque ce premier plan où une femme passe, à peine esquissée.
En entrant ce matin dans la galerie où sont exposées les gravures de Jacques POULAIN, j’ai eu la diffuse impression de pousser la porte d’une bibliothèque et de feuilleter du regard ces grandes éditions de Jules Verne qui se faisaient au XIX°, ou une de celles du magazine l’Illustration que l’on trouvent très souvent sur les étals des brocanteurs.
A sa manière Jacques POULAIN, outre ses indéniables qualités de dessinateur et de graveur, est un chroniquer qui tout d’abord se raconte au travers de l’évolution de son style et des sujets abordés et qui, tout simplement, raconte des histoires qu’il nous charge de composer.
La gravure « Le bateau-pélican » est sans doute une des plus « bavardes », et ce sans note péjorative, de l’ensemble des travaux qui sont visibles sur les murs de la galerie. Je ressens cette gravure comme composée d’une spirale dont la mer est le centre et dont le bras se développe sur la droite en démarrant du haut. Les personnages, dont certains sont à peine esquissés, semblent sortir d’une corne d’abondance et forment une procession qu’un coup de vent, venu du haut de l’ensemble, disperse vers nous.
Sont-ils sortis du bec du pélican tous ces personnages, ce qui ferait de ce bateau une sorte d’Arche de Noé inversée ?
Au-delà de l’invention proposée, Jacques POULAIN par la diversité de ses tracés, de ses encrages, de ses représentations, nous donne le réel plaisir de contempler un travail d’une grande sensualité.
"Le bateau-pélican" 25 x 34
A peine accrochée, l’exposition des travaux gravés de Jacques POULAIN, accueillait un amateur qui s’arrêta sur un travail d’une grande liberté de style et dont le titre est « Adam & Eve ». Belle petite pièce de 18 cm par 15 .
Qui ne connait ce couple, Adam et Eve, que l’on dit premiers et seuls humains d’une création toute fraîche ?
Il leur avait été demandé de faire ce qu’ils voulaient dans le camping mis à leur disposition, mais il leur était interdit de jouer à touche pipi.
Ca n’a pas manqué, un gros serpent est arrivé.
Adam connaissait cette chose en forme trompe pour en avoir une plus petite et captive et tout à fait muette, contrairement à l’autre, le fanfaron à la grande taille qui n’arrêtait pas de jacter et de faire avec sa langue fourchue et très délurée, des papouilles à Eve qui trouva ça suffisamment à son goût pour demander à Adam, quand l’autre l’abandonna, de lui redonner les frissons qu’elle avait tant appréciés.
Cette demande déconcerta un peu Adam, il avait la trompinette mais pas la langue associée. Comment pouvait-il faire ?
Ils improvisèrent et
le firent … et pas qu’un peu, on est dix milliards et depuis le temps on doit pouvoir compter les petits Adam et les petites Eve par centaine de milliards et de toutes les couleurs. Bon, faut dire, à en croire pas mal de représentations, que le Adam a la classe d’un surfeur nourri au beurre de cacahouète et que la Eve est gaulée comme une Barbie, c’est normal qu’ils aient envie de se sauter dessus pour un oui plutôt que pour un non et puis la feuille de vigne leur tenait chaud, faut les comprendre …. Le zest de citron est quand même l’ingrédient principale, nous ditons, du grand cocktail que nous tous composons.
Jacques Poulain représente son Eve et son Adam à poil et avec du poil partout et ils dansent, ils ont l’air heureux … est-ce l’innocence, que le serpent brisa, que Jacques représente ainsi, ou le bonheur de la découverte ?
Alors il le fait bien. Il y a dans ce petit tableau une grande joie, celle de la naïve liberté du partage, du contentement d’être ensemble et de vivre.
Tous les jours sauf le dimanche, de 16h à 19h ou sur RV 06 77 38 48 33
Jusqu'au 21 octobre 2023
LA GALERIE 75 ET LES GRIGRIS DE SOPHIE
(cliquer)
1 commentaire:
Bonjour Sophie,
c'est super ce regard dont tu te fais l'écho.
Le travail de Jacques POULAIN est le futur désespoir de ceux qui ne l'auront pas vu.
De plus, et du fait de l'impossibilité de tirage de ses oeuvres ( plaques disparues ou trop abimées) les prix restent ceux des tirages multiples. C'est donc une rareté très appréciée par certains qui, conscients, ont saisi l'occasion....
Merci à Fabienne d'avoir plongé dans son passé, merci à toi de l'avoir partagé.
Pierre GENTES, GALERIE 75 Rouen
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