Les Grigris de Sophie ce sont bien sûr des broches, des colliers et des sacs … mais c’est aussi un blog !

Les Grigris de Sophie ce sont bien sûr des broches, des colliers et des sacs …

Mais c’est aussi un blog ! Un blog dans lequel je parle de CEUX et de CE que j’aime …
HHHHHHHHHHHHHHHHHHHH
Vous trouverez ici des artistes, des lieux insolites, des recettes, des films, des expositions, des musiques, des spectacles, des photographies d’amis ….
Tout ce qui rend la vie meilleure, tout ce qui rend ma vie meilleure !

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Affichage des articles dont le libellé est Marcel Storr. Afficher tous les articles
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lundi 17 mars 2014

"STORR ARCHITECTE DE L'AILLEURS" DE FRANCOISE CLOAREC



Voici un livre offert par mon fils Antoine et que j'ai lu avec une totale émotion avec en mémoire
les dessins magnifiques découverts à Paris au Carré Baudoin en février 2012 ....






"Il a peint des églises grandioses aux allures de cathédrales, et surtout des villes imaginaires, verticales, utopiques et anxiogènes. Des fresques minutieuses comme des miniatures, d'une inventivité formelle et chromatique inouïe. Enfant de l'Assistance publique, abandonné à l'âge de 3 ans, maltraité, mal aimé, demeuré illettré, devenu à l'âge adulte cantonnier, travaillant au service des Parcs et Jardins de la ville de Paris, Marcel Storr (1911-1976) a laissé derrière lui, à sa mort, une œuvre picturale énigmatique, obsessionnelle et fascinante. Si elle n'a encore jamais été montrée, les quelques critiques d'art et amateurs qui l'ont vue en ont été stupéfiés. Françoise Cloarec se penche sur cette vie et cette œuvre avec la même finesse, la même sensibilité qui avaient guidé, il y a deux ans, sa belle biographie de Séraphine de Senlis."






" Sortir les génies de l’oubli devient une habitude chez Françoise Cloraec. Après Séraphine de Senlis, la psychanalyste revient avec l’histoire de Marcel Storr, un peintre cantonnier. Dans Storr, Architecte de l’ailleurs, on découvre un dessinateur hors pair. Né en 1911, Marcel Storr est abandonné par sa mère et confié à l’Assistance publique. Envoyé près de Montauban, il est balloté de famille d’accueil en famille d’accueil. « Marcel a manqué de tout. De ce qui se voit, et de ce qui ne se voit pas mais s’éprouve. Pas de regards tendres, de mots attentionnés, de gestes doux. L’exil est au fond de lui, pour toujours. » Enfant maladif, atteint de surdité, le petit garçon se réfugie dans le dessin.
Les années passent, la passion reste intacte. Cantonnier le jour, peintre la nuit et pendant son temps libre, Marcel Storr construit sur le papier des cités à couper le souffle. « Nous croyons découvrir l’architecture maure, germanique, du Cambodge ou d’Asie. Les styles et les non-styles nous égarent. Ses églises ressemblent à des cathédrales anglicanes, à des palais russes, des temples orientaux », écrit Françoise Cloarec.
 La psychanalyste relate, à la fin de l’ouvrage, comment elle a découvert l’œuvre de Marcel Storr. Après avoir lu Séraphine, un couple de Parisiens, les Kempf, la contacte. Ils lui parlent d’un certain Marcel Storr dont ils conservent précieusement, presque religieusement, les dessins. D’abord réticente, Françoise Cloarec, se rend finalement chez eux. « Je ne voulais pas me spécialiser dans le peintre autodidacte », assure-t-elle. Pourtant, devant l’œuvre de Marcel Storr, elle rend les armes. C’est ainsi que Storr, architecte de l’ailleurs a pu voir le jour, non sans effort, tant les zones d’ombres étaient nombreuses. Dans ce livre, on découvre notamment l’effroyable univers de l’Assistance publique au début du XXe siècle. Au fil des pages, le talent de Marcel Storr s’impose et, en nous, le regret s’installe. Quel dommage, en effet, que cet homme ait toujours refusé de montrer ses dessins en dehors d’un cercle, extrêmement restreint, de privilégiés…"


 "Avant de sortir du bureau, Marcel plonge son regard dans celui du docteur C. Il déclare :

" La vie est presque terminée et on a rien profité ."

 MARCEL STORR ET LES GRIGRIS DE SOPHIE

 LE LIEN VERS "LES PETITS PAPIERS" 

(cliquer sur les liens)



 

jeudi 20 décembre 2012

LE NUMERO 11 DE L'OEUF SAUVAGE VIENT DE PARAITRE !


 

Tous les amateurs d'Art Brut connaissent  L’ŒUF SAUVAGE !

Le numéro 11 vient de sortir !

Au sommaire, de vrais bonheurs en perspective :

Paul Rebeyrolle par Lionel Bourg
Marcel Storr par Laurent Danchin
Mater dolorosa par Joël Gayraud
Victor Soren par Jean-Michel Maubert
Jean de Ritou par Jano Pesset 
Katia par Claude Roffat .

 

Qu'on se le dise !


Petit retour en arrière ...

"L’Œuf sauvage est une revue d'art française , fondée en 1991  par Claude Roffat, et dont 9 numéros ont été publiés entre 1991 et 1994 .
 En 9 numéros, la qualité de la revue et la pertinence des articles en font une référence obligée dans l'édition d'art auprès des amateurs d'art brut, d'art « autre »…
 La revue puis, plus tard, Les Amis de L'Œuf sauvage défendent aussi fidèlement un certain nombre d'artistes en marge du circuit officiel : Jean Rustin, Louis Pons, Pierre Bettencourt, Philippe Dereux, Marie Morel, René Moreu, Francis Marshall, Sttani Nitkowski ...

 Dix-sept ans plus tard, le 10 sort à l'automne 2011.

L'Œuf sauvage est aussi une aventure éditoriale originale, unique et indépendante tournée vers l'art brut, singulier , hors-les-normes, en passant par les arts premiers et le surréalisme , et défendant un certain nombre de créateurs contemporains.
L'Œuf sauvage est enfin lié à un ensemble de lieux d'expositions : outre sa propre galerie à Marseille ouverte entre 2004 et 2007, il collabore régulièrement avec la galerie Béatrice Soulié et la Halle Saint Pierre , ainsi que l' abbaye d'Auberive ."
Claude Roffat a édité plusieurs collections plus modestes, dont deux numéros de la revue Enfers, des monographies d'artistes, des tirages limités de dessins d'artistes, des écrits de Philippe Dereux..."


Comment se procurer la revue ?

  Plusieurs possibilités s'offrent à vous :
- La Halle Saint Pierre bien sûr !
- l'achat par correspondance :
Réglement par chèque à l'ordre de Claude Roffat

Claude Roffat
1bis rue Chateauredon
13001 Marseille
04 91 33  61 88

Prix : 18 euros !

*** Si d'autres librairies proposent cette revue dites le moi afin que j'ajoute des adresses !

dimanche 16 décembre 2012

LES VILLES IMAGINAIRES DE MAMADOU CISSE


Je n'ai pu m'empêcher de penser en découvrant MAMADOU CISSE  à la Fondation Cartier 
(cliquer sur le nom) aux  villes imaginaires de MARCEL STORR (cliquer sur le lien) .....
On est loin du des dessins habités,oniriques  et fascinants de ce dernier mais un rapprochement est possible !

 


"Dans l'ennui de ses longues nuits de garde, Mamadou Cissé imagine des cités gigantesques, ou la rigueur géométrique s'éclaire des couleurs fluorescentes des feutres.
À l'instar de Marcel Storr , l'artiste édifie des villes verticales, denses, mais là où le cantonnier parisien utilisait une palette sombre, l'agent de sécurité africain peint ses immeubles de couleurs vives, reflets de son optimisme."

« Je vois les villes en hauteur, je trouve qu’elles sont bien conçues. […] Dans le futur, je souhaite qu’on ait assez de terre pour l’agriculture, qu’on ait assez de terre pour les forêts. Et qu’on soit bien logé. »












" C'est le dessin qui m'empêchait de dormir, je dessinais pour ne pas dormir. C'est des rêves d'enfants, j'ai toujours rêvé de Paris . Je m'inspire de cartes postales, j'ai copié et de plus en plus je traçais des plans . C'est plus intéressant de voir la ville d'en haut . C'est la vie avec les bouchons, les axes routiers. On est à l'intérieur de la ville.
Ce n'est pas de l'Art naïf c'est du travail".

On peut aussi évoquer  BODYS ISEK KINGELEZ dont  le travail,  en volume cette fois (puisqu'il s'agit de maquettes ) a en commun avec MAMADOU CISSE la ville verticalisée et la joie des couleurs !


" Bodys Isek Kingelez est né en 1948 en R. D.C. (République démocratique du Congo). Architecte-maquettiste, créateur visionnaire de cités modernes, il réalise des projet sociaux, des villes futuristes avec un souci du détail et un travail de l’espace étonnant. Rien n’est laissé au hasard et Kingelez déroute par sa conception inattendue d’une Afrique rêvée faite de gratte-ciel, de jets d’eau monumentaux et de bâtiments architectoniques aux couleurs vives, comme pour rappeler que sa ville, Kinshasa, est aussi un kaléidoscope, symbole de fête et de jouissance.
Autodidacte et visionnaire , ses maquettes de ville sont purement imaginaires et n'ont aucune finalité fonctionnelle avouée . Réalisées à l'aide de matériaux de récupération  (papier, carton, plastique) elles donnent l'image du monde qui reste à bâtir.
Kingelez s'éloigne ainsi délibérément des traditions culturelles qui sont selon lui encore trop présentes dans l'idée que le reste du monde se fait de l'Afrique."




(Toutes ces photos ont été trouvées sur Google)



Pour Laurent ...car l'exposition MARCEL STORR au pavillon Carré de Baudouin restera un point fort de cette année 2012 ! 

mardi 28 février 2012

MARCEL STORR ENCORE ET TOUJOURS !


"  L’oeuvre de Marcel Storr est à la fois intrigante dans le détail, époustouflante dans son ensemble. Elle regroupe une soixantaine de dessins de cathédrales et mégapoles imaginaires réalisés clandestinement par un cantonnier du bois de Boulogne, décédé en 1976 dans le plus complet anonymat. Il s’agit sans doute d’une des plus importantes découvertes d’art brut de ces dernières années en France."


 




Deux vidéos où intervient Laurent Danchin :

- Dans l'émission  " CULTURE VIVE "

- Dans " LE JOUR DU SEIGNEUR" 
(Reportage à partir de la 11e minute )



* MARCEL STORR ET LES GRIGRIS DE SOPHIE

(il faut cliquer sur les liens)

samedi 25 février 2012

MARCEL STORR ET MARC PEREZ : L'HISTOIRE D'UNE RENCONTRE

La vie réserve des bonheurs et des rencontres . L'exposition MARCEL STORR attire des spectateurs de plus en plus nombreux ... Il y a ceux qui viennent et ceux qui reviennent .
Marc Perez est de ceux ci. Je l'ai rencontré par hasard et aujourd'hui il a accepté de me confier SON texte . C'est un texte intime et sincère, profond et fort ... c'est l'histoire d'une reconnaissance, d'une révélation  ...



Marcel Storr

J’ai mis du temps à retrouver ma voiture.
Cela m’arrive, de temps en temps, les jours de fatigue…
Ce jour-là, j’étais réellement perdu, ce n’était pas la fatigue…Je ne parvenais plus à reconnaître le quartier, les rues et le chemin qui devaient me ramener à ma voiture.
Après un long moment d’errance, je finis par tomber sur cette fichue bagnole, soulagé…
Cela se produisit après la visite de l’exposition de Marcel Storr.

Cette exposition avait bousculé mes repères, désaxé mon esprit.
Ce matin-là, suivant les recommandations de ma sœur et ne sachant pas réellement ce que j’allais voir, je visitais cette exposition. A l’issue de cette visite, plus longue que prévue, je ne savais toujours pas ce que je venais de voir…Une exposition d’art brut, peut-être,…mais pas seulement…

L’art brut est espace ouvert, accueillant. On y trouve tant d’artistes et de créations de toutes formes que le lien semble être, hélas, trop souvent, un amateurisme décalé, singulier, amusant parfois ou obsessionnel. Il produit des œuvres généralement pauvres à mes yeux, et qui en tous les cas, ne parviennent pas à me saisir ni même m’émouvoir, cela en dépit de l’histoire de vie étonnante, quelquefois bouleversante, de leurs créateurs.

Mais ce matin-là, ma représentation de l’art brut semblait s’effacer…

La découverte, avec les premiers dessins de cathédrales, de l’œuvre de Marcel Storr me ramena pourtant, dans un premier temps vers ce même schéma; un art fermé sur lui-même, répétitif et obsessionnel aussi bien à travers la forme que par le sujet unique. Une monomanie picturale, d’un homme isolé, une œuvre sans filiation apparente avec l’histoire des arts. Mais, passé ce tout premier regard éteint, commença, très vite, un voyage, un vrai voyage… Les repères, les constructions schématiques, les analyses s’effacèrent pour laisser place au plaisir, à ce plaisir soudain comme origine de tout…

Comment savoir pourquoi certaines œuvres vous embarquent ? Comment, à travers ce plaisir, elles agissent, par quel étrange pouvoir elles vous saisissent si simplement avec cet alliage pourtant complexe entre le fond, la forme et votre esprit réceptif à cet instant ?… Sans doute faut-il simplement se laisser prendre, ainsi, par surprise, comme nous prennent toutes ces choses importantes de l’existence, par surprise…

Cette émotion calme sans ivresse ni fébrilité, m’accompagna tout au long de la visite. Elle guida mon immersion dans cette œuvre, et me laissa désorienté…

Cet état d’abandon, ce sentiment subit d’avoir coupé les amarres de la raison est certainement le propre de ces œuvres magnifiques qui surgissent et s’offrent à vous…Ce miracle est si rare que l’on parvient, durant de longues périodes de désenchantement, à douter que ces rencontres soient encore possibles…

La manière dont cette exposition était présentée participa, très probablement, à mon plaisir puis au bonheur de ma promenade suspendue.

Un lieu spacieux mais discret qui m’était inconnu, me permit de faire de ce moment une double découverte, puis les indications également discrètes sur la vie de Marcel Storr me donnèrent d’infimes repères sans intervenir dans mon cheminement. Une mise en lumière, une mise en scène subtile, intelligente, contrastant avec cette maladie muséale actuelle transformant, à coup de cartels, de scénographie appuyée, d’audio guides parasites, les visites sensibles en parcours-supplice, didactiques et pollués…cette visite, donc, me permit d’être dans une intimité nécessaire avec cette œuvre inconnue mais devenant, chemin faisant , curieusement familière et amie...

Rares furent pour moi de tels moments mêlant la secousse d’une découverte et le plaisir apaisé d’une harmonie étrange, et cela malgré ce morne destin d’artiste pressenti en arrière-fond.

Seule la peinture était parvenue jusqu’alors à m’emporter ainsi. Sans nul doute que cette œuvre était aussi peinture, bien que le dessin en soit la trame. Peinture, comme cette poésie qui se voit nous dit Vinci, Peinture comme cette réinvention du monde, ce ré-enchantement, Peinture comme une fenêtre ouverte vers le dedans…

Je quittai l’exposition.

Je me souviens avoir appelé aussitôt de mon portable un ami artiste dont j’aime, de façon inégale, le travail mais dont j’admets difficilement la posture de pseudo-artiste outsider « cultivant son inculture » selon ses propres mots, tout en multipliant les contacts, les liens pour faire valoir son travail. Il s’apprêtait à partir pour New York pour une importante foire d’art brut. Je lui conseillai avec insistance cette exposition lui faisant part de mon enthousiasme dont j’avais l’impérieux besoin de parler, mais ce fut surtout une manière de lui dire de façon mesurée qu’il devrait s’inspirer de telles œuvres dont l’authenticité ne fut jamais usée par une quelconque posture ou «faire savoir »… Sans doute, en lui parlant ainsi, je dialoguai également avec moi-même…

Après que j’eus retrouvé ma voiture, j’allai déjeuner plus bas dans le quartier de Belleville.

Me souvenant, par ces lignes, de ce déjeuner, je m’aperçois que cette envie ne fut sans doute pas un hasard. La cuisine fut toujours, pour moi, un repère fondamental ; devant cette « assiette tunisienne » accompagnée d’une « boga », soda très sucré que je buvais enfant, je retrouvais mes plus sûrs repères dont j’avais probablement besoin à cet instant…

Je repensai longtemps à cette exposition avec le désir de partager cette découverte, incitant proches et amis à cette visite.

Quelques jours plus tard je me décidai pour une seconde visite. L’émotion fut intacte. Cette fois j’avais envie de m’attarder un peu plus, non pas pour analyser ni comprendre (ce type de tentative est vain et capable d’éroder une émotion que l’on veut préserver) mais pour mieux voir ce que la première visite ne m’avait fait qu’entrevoir…

J’évoque souvent cette formule de Jean Baudrillard, « si vous n’avez pas ce télescopage idéal entre une forme et une idée, vous n’avez rien ». Elle résume simplement la construction de toute œuvre puissante. Chez Storr cette association idéale existait bien. Cette seconde visite me la révéla plus clairement encore.

L’idée du sujet, d’abord, avec ses cathédrales imaginaires était, à l’évidence, un élément important. Il nous transportait dans une dimension religieuse et mystique, nous élevait aussitôt vers une vision sacrée constitutive de l’œuvre. Mais sans la forme d’une beauté et d’une sensibilité inouïe probablement n’aurions-nous rien eu…

Et c’est bien là, au cœur de la forme, au plus profond de sa manière de faire, de dessiner, de peindre qu’il y avait cette chose infiniment difficile à concevoir, si difficile que cela peut s’apparenter à un miracle… Comment parvenir à un tel sens chromatique, à une telle justesse de composition (sans que celle-ci ne soit apparente) comment s’inventer une matière si singulière, tout cela avec une connaissance limitée des choses de l’art ?…

Les amateurs ou spécialistes m’affirmeront que cet art brut renferme nombre de tels miracles…Mon ignorance, sans doute, me les a fait quelquefois méconnaître mais je m’autorise à croire qu’une telle beauté est chose rare, et j’ose aussi douter de l’importance et de la beauté de certaines œuvres dont les vies de malheur de leurs créateurs, reclus, fous ou laissés pour compte, poussent parfois nos regards, par une complaisance émue, vers une adhésion excessive.

Ici l’œuvre semblait s’imposer, jusqu’à faire oublier son créateur, cet artiste capable, en particulier, d’une telle virtuosité dans l’utilisation des couleurs.

Les couleurs, avec Marcel Storr m’apparurent, plus encore lors de cette deuxième visite, d’une richesse stupéfiante, d’une justesse tout aussi étonnante et parfois d’une audace inattendue avec ses couleurs rougeoyantes de l’aube ou fluorescentes des villes d’ailleurs… (Ma première visite n’avait pas pu dissocier les éléments de l’œuvre mais sans doute était-ce-mieux ainsi, elle m’avait permis un voyage fluide et inoubliable)

Dans de nombreuses peintures nous apparaissaient les couleurs d’automne, comme le révélait pertinemment Laurent Danchin. Y avait-t-il eu chez cet homme une étrange rémanence de ces couleurs, cet homme, travaillant comme cantonnier au bois de Boulogne et plongé quotidiennement dans ces jaunes-brun et rouille des feuilles mortes ?... « En vérité l’art est enfermé dans la nature, celui qui peut l’en extraire est un Maître » disait déjà Albrecht Dürer. Mais comment parvenir à cette extraction, comment être ce Maître autrement que grâce aux outils de la connaissance et du plus patient des apprentissages ?... Là est réellement l’incroyable mystère de cette œuvre et de cet artiste seul, enfermé dans son monde, penché des heures et des heures sur de simples petites feuilles de papier Canson qu’il transformait en feuilles mortes nervurées, veinées, incisées...Feuilles mortes vivantes à jamais.

Toute grande œuvre est ouverte, on s’y promène, on y revient, on y voit mille choses, on y découvre, chacun, selon son œil et sa mémoire, ce que l’on veut, librement, et sans injonction vers les autres, qui feront leur propre voyage…Ainsi, les traits de crayon infiniment précis de Marcel Storr, ces traits secs construisant pierre par pierre ces cathédrales et ces villes, cette multitude impensable de coup de crayons ne me paraissaient pas offrir simplement des images illustratives à l’excès mais donner bien plus, élaborant une matière comme une subtile abstraction par ce papier incisé et propice à des visions diverses, changeantes...

Là, par exemple, dans ce dessin où la couleur ne recouvrait pas tout, laissant apparaître, au bas de la feuille blanche, ces traits fins, ne pouvait-on pas y voir comme un métier à tisser avec ses faisceaux de fils dans lesquels irait courir la laine ou la soie pour fabriquer, patiemment, la plus belle des étoffes ?…

Là, encore, sur cet autre tableau, cet étrange vernis posé sur le dessin repassé ne donnait-il pas à voir comme une peau, un cuir fin, précieux, incisé de subtils ornements ? Et là aussi, sur ce dessin sans couleur, les traits ne formaient- ils pas une trame semblable à une précieuse dentelle ?

Ainsi n’y aurait-t-il pas eu chez Marcel Storr une résurgence mystérieuse de ces gestes ancestraux du tisserand, de la dentellière…Du fond de sa solitude n’y a-t-il pas eu, comme une mémoire remontant lentement à la surface et se cristallisant, comme l’eau salée à l’abri des vagues…

Il semble bien y avoir dans ce travail sublime, les gestes patients et habiles de l’artisan. Ces gestes modestes, répétés inlassablement et qui occupaient toute une vie, ces gestes qui tissaient la vie et nous faisaient voir le fil du temps que l’on ne voit plus et qui file…

Puis me vint devant ces dessins imaginaires de cathédrales une autre curieuse mise en parallèle, si éloignée de cet art modeste des artisans …

« Bâtissons une cathédrale ! », lançait dans les années 90, l’artiste allemand Anselm Kiefer ; dans un recueil d’entretiens entre les plus reconnus des artistes contemporains du moment ( Beuys, Kounellis, Cucchi,…) .

« Bâtissons une cathédrale ! » devenu le titre de ce recueil cherchait à résumer leur projet ambitieux qui était de faire revivre, pierre après pierre, l’art de ses ruines…

Anselm Kiefer, quelques années plus tard, se retrouva seul à vouloir encore poursuivre ce projet colossal. Il donna naissance à une œuvre grandiose avec ses tableaux monumentaux, ses installations ou sculptures impressionnantes. Fasciné par son œuvre, j’allais jusqu’à visiter ses ateliers, ses domaines…

Cette œuvre imprégnée d’histoire (avec cette question du comment survivre en étant artiste allemand né en 1945 …), mais aussi imprégnée de littérature, de poésie, de philosophie, de cosmologie, d’histoire des arts, avait comme projet d’occuper l’espace mais aussi tous les champs artistiques et les champs de pensées.

Cette œuvre m’impressionna et m’impressionne encore mais alla jusqu’à m’infliger une forme d’écrasement, décourageant longtemps mes recherches et mes modestes projets.

Si la nécessité m’est apparue ici d’évoquer cette œuvre d’Anselm Kiefer, c’est qu’elle rencontra paradoxalement dans mon esprit l’œuvre de Marcel Storr comme peuvent se rencontrer deux extrêmes, deux mondes opposés, et ici avec comme point de jonction le même projet de bâtir une cathédrale…

L’un sans connaissance ou si peu, mis à l’écart, invisible, peignant dans un réduit humide ses feuilles blanches, l’autre, artiste-érudit, artiste-roi, Falstaf omnipotent peignant dans son usine des tableaux démesurés. L’un seul, l’autre flatté, courtisé, entouré d’un phénoménal dispositif muséal, médiatique et marchand indispensable à l’œuvre. Tous deux, désespérés, poussés vers cette même élévation…

Permettez-moi, à présent, Monsieur Marcel Storr, de m’adresser à vous directement, pour vous remercier, vous remercier d’un tel cadeau, vous remercier de m’avoir rappelé que l’art se trouve là où on ne l’attend pas, comme le disait Jean Dubuffet. Mais j’aimerais vous dire aussi que le mot d’art brut qu’il a inventé ne vous convient pas. Votre art, Monsieur Marcel Storr n’a rien de brut, il est subtil, fragile, délicat parfois, ce qui ne l’empêche pas d’avoir la force du grand art. Il n’est pas brut, ni sauvage ni grossier, il a le raffinement de votre profonde intelligence de votre immense honnêteté.

Monsieur Marcel Storr, sachez également que votre œuvre est enfin apparue au grand jour dans un siècle que vous n’avez pas connu, un siècle désorienté, où l’art n’a jamais été à ce point une production issue de ces usines-ateliers pour alimenter très vite un commerce que plus personne ne comprend.

Sachez, Monsieur Marcel Storr que j’aimerais par ces mots apporter ma très petite pierre à la préservation de votre œuvre qui ne devra jamais être dispersée, émiettée pour contenter un marché capable de tout et du pire…Sachez qu’elle nous est arrivée intacte, préservée bien à l’abri, rue des martyrs…

Sachez aussi que vous avez eu une belle vie et vous seul le saviez, vous avez sans doute bien fait de dissimuler si longtemps vos œuvres. Vos œuvres n’aiment pas tant la lumière…Vous avez stoppé net un tableau parce qu’une observation avait été faite sur votre manière de faire, élaborée année après année, votre solitude était devenue une amie indissociable de votre œuvre…Sachez que ce tableau inachevé, je l’ai trouvé magnifique, aussi…

Même si les années l’avaient permis, nous n’aurions sans doute pas pu nous rencontrer, nous n’aurions jamais pu parler d’art, ni de rien, vous étiez loin dans votre monde, je vous aurais trouvé inaccessible,rigide, fermé, mégalomane aussi, fou peut être …Fou, cet adjectif que l’on lance si vite, parce qu’un être vous échappe, ce mot que l’on élève, sans y penser, comme un mur qui nous sauve de nous-mêmes…Mais je vous ai rencontré, Monsieur Marcel Storr, de la plus belle des manières…

Sachez que votre œuvre semble avoir éclairé ma vie pour longtemps, mais aussi éclairé un monde de l’art perdu, cramponné à des repères fragiles et mouvants. Sachez que certains ont comparé la mise au jour de votre œuvre à la découverte des grottes de Lascaux. Est-ce un juste parallèle, nul ne peut le savoir encore, mais comme ces hommes de Lascaux vous êtes parvenus à nous rappeler que l’art se cache, que l’art peut par le génie transcender le temps et qu’il se trouve là où les hommes creusent, creusent encore, au plus profond de leurs âmes…

Monsieur Marcel Storr, j’ignore ce que vous avez su, ce que vous avez vu des autres artistes, vous rejetiez Picasso ; auriez-vous aimé Paul Klee ? Comme lui, vous êtes parvenu à une transparence, une élégance des couleurs, une précision du trait aussi, mais vous étiez si loin, ailleurs…

Aviez-vous vu Cézanne? Il semble que vous ayez retenu sa leçon, à moins que vous en ayez juste eu l’intuition, l’intuition que le vrai, le beau, se trouve dans le tableau qui se fait sous vos yeux, plus que dans la poursuite d’un réalisme qui ne mène à rien. L’œil concentré sur des détails, vous négligiez la perspective, la logique des plans, l’horizon jamais horizontal, sans doute ignoriez-vous certaines règles faute de ne pas les avoir apprises mais vous pressentiez que ces anomalies ne nuiraient en rien à la beauté de vos œuvres. Vous étiez un pauvre indigent, inconnu de tous, pas même un artiste maudit, pour cela il faut déjà être un artiste aux yeux des autres, vous n’étiez rien mais vous aviez en vous tous les rêves du monde…Sans doute auriez-vous compris les mots de Cézanne « L’art est une religion, son but est l’élévation de la pensée ».

Aujourd’hui du haut des flèches de vos cathédrales, vous nous observez, comme sur vos peintures, vous nous apercevez, minuscules couples de chromosomes, ridicules silhouettes restées tout en bas, en bas, comme vous l’étiez, en apparence…

Que Charles Juliet, m’autorise, pour conclure provisoirement ce dialogue avec vous, à rapporter ce qu’il écrivit à propos de Cézanne au terme de son ouvrage « Cézanne un grand vivant » ; ces quelques mots parlent aussi de vous Monsieur Marcel Storr :

Qu’on vous ait à ce point méconnu est somme toute conforme à la nature de la quête dans laquelle vous étiez engagé. L’être qui atteint à la grandeur est aussi le plus humble, le plus anonyme. Il ne peut que passer inaperçu…


Et pour accompagner ce texte le tableau préféré de Marc ...



 
 

MARC PEREZ ET LES GRIGRIS

LE SITE DE MARC PEREZ 

(cliquer)

lundi 20 février 2012

MARCEL STORR ET FRANÇOISE CLOAREC

Françoise Cloarec a eu la gentillesse  de me donner un texte très émouvant sur Marcel Storr .
A découvrir avant ou après la visite de l'exposition !





STORR


Architecte d’ailleurs.


Un jour de printemps, en 1914, Eugénie Storr pousse la porte de l’hôpital dépositaire des Enfants assistés de la rue Denfert-Rochereau. Elle abandonne là son fils Marcel, il a moins de trois ans.

Marcel Storr a tout perdu, tout de suite. Il a vécu dès sa prime enfance des événements si intenses et terribles qu’ils vont décider de l’orientation de son existence, jusqu’à sa mort.

À la naissance, chaque enfant est déjà inscrit dans une histoire. Une histoire qu’il ignore, mais qu’il porte. Marcel sera hanté toute sa vie par un passé dont il ne peut rien dire. Et dont nous pouvons penser qu’on ne lui a rien dit.

Toujours, une ombre pesante, sans mots, en lui.

À peine est-il déposé rue Denfert-Rochereau par Eugénie qu’il est emmené par un des convois en partance tous les jours vers les nombreuses agences des Enfants assistés de province.

Le petit garçon part à Toucy, dans l’Yonne.

Si nous savons peu de choses de l’enfance de Marcel, nous sommes sûrs qu’elle est une répétition de violences. Celles dont on a la preuve et celles que l’on imagine secrètes. La disgrâce est aussi intérieure. Il a été battu, isolé, obligé de subir son destin.

Il traverse les premières années de sa vie comme un cauchemar. Les jours passent, amers, durs. Qui l’entoure ? Qui s’occupe de lui ?

La vie de Marcel Storr comporte de nombreuses périodes restées dans l’ombre. Nous le suivons à travers des dates, des mots, des mots ternes, tristes, des mots de documents administratifs, de certificats médicaux.

Il a pris des coups, physiques, moraux, au point d’en devenir sourd. Sourd aux autres et à lui-même.

De l’agence des enfants assistés de Toucy, à six ans il est envoyé à l’agence de Montauban. Régulièrement il est fait des séjours en sanatorium, à Berk, à Hendaye, pour tuberculose. À treize ans il est gagé chez des paysans, dans des fermes où il est frappé et maltraité.

Entre deux documents Marcel disparaît. Nous ne savons plus ce qu’il devient.

Il est probable qu’il a travaillé dans divers emplois à Paris après avoir quitté Montauban. Il exècre la campagne. Le rêve de Marcel est de travailler dans le métro. Pour lui c’est une sorte d’idéal, un vrai métier.

En 1940, il est mobilisé, puis réformé. Son signalement le présente comme un homme d’un mètre soixante-huit, cheveux châtains, yeux châtains, front couvert, nez rectiligne, visage ovale.

Il est fermé aux autres, rigide, les échanges ne l’intéressent pas. Les autres sont des ennemis, ou au mieux, n’existent pas.

Il est coupé du monde par sa structure psychique, par sa surdité, par son illettrisme.

Mais il fait des plans, il dessine.

Quand a-t-il commencé, pourquoi ? Pour empêcher l’envahissement par les voix, les persécutions ?

Toute la sensibilité dont il est capable, la poésie, l’émotion passent par les dessins, pas dans sa vie, pas dans sa relation aux autres.

Dans le monde qu’il crée, il devient architecte. Il bâtit, il édifie. Il érige, il dresse, il élève, vers le ciel. Il construit sans relâcher son crayon, sauf pour l’aiguiser, un imaginaire dans lequel il plonge pour ne pas sombrer.

En 1964, Marcel Storr est cantonnier de la ville de Paris, il balaie les allées du Bois de Boulogne. Toute la journée il voit s’élever les tours de la Défense alors en construction. En 1964 aussi, il épouse Marthe, une concierge de la rue Milton dans le 9e arrondissement.

Tous les soirs en rentrant de son travail, il dessine. Dessiner apaise sa fièvre, intensifie sa vie. Il invente des mondes où les églises dégagent une lumière pourpre qui les embrase de l’intérieur. Toute l’intensité doit entrer dans la surface réduite de la feuille dont les bords retiennent la jouissance et protègent du gouffre.

Avec son crayon, il grave la surface comme avec un poinçon. Le papier reçoit la mine acérée. Pas de rature, pas de retouche, pas de reprise, pas de remord, pas de retour. Surtout pas de retour.

Marcel, le soir, devient bâtisseur, il transforme les épreuves en dessins, il donne une forme à l’ombre qui l’habite.

Il construit un monde, comme Dieu. Il évacue là sa sexualité, sa colère, ses drames. Infatigable. Il organise son univers, lui qui est refusé de partout. Il a besoin d’être créateur, sinon de sa vie, au moins de la vie de ses dessins. Il faut qu’il maîtrise quelque chose, la nature doit être domestiquée, les gens doivent vivre en autarcie, en circuit fermé.

Le papier abrite ce qu’il ne peut pas dire, encore moins écrire.

Le dessin est son écriture, son vocabulaire.

Le regard peut parcourir indéfiniment un dessin et toujours découvrir un nouveau détail.

Il produit son œuvre en dehors des circuits marchands, il n’est inscrit dans aucun réseau artistique.

Par sa femme, il rencontre un couple en 1971, Liliane et Bertrand K.

Il leur a laissé plus de soixante dessins.

Ils ont recueilli, conservé, aimé, mis sous verre, exposé, regardé, commenté, photographié, présenté, montré, expliqué les créations de Marcel Storr. Ils ont fait des recherches sur l’enfance de l’artiste, exploré ce qu’il était possible de trouver sur sa biographie. Ils ont protégé et respecté son travail. Ils ont toujours su la grande importance de leur mission.

De 1938 à 1964, Marcel Storr dessine, nous pourrions dire peint, des églises, des cathédrales. À partir de 1965 des cités imaginaires deviennent le sujet exclusif de sa création. 18 feuilles de Canson accueillent des mégapoles. Les bâtiments sont utopiques, inventés, irréels. Les détails s’ajoutent aux détails. Une toute petite partie, prise au hasard est un univers en soi. Si nous l’isolons, nous voyons encore un monde. Il dessine chaque pierre, chaque nuage, chaque oiseau. Les humains, toujours en bas de la feuille sont minuscules, prisonniers d’une architecture écrasante.

Ce que l’on voit d’abord, c’est la verticalité, les traits, la couleur, les ciels. Nous restons toujours en dehors des bâtiments, des églises, il ne nous fait pas entrer. Il n’existe pas un intérieur où il pourrait se protéger de l’hostilité extérieure.

Marcel Storr, dessinateur, bâtisseur, architecte est né le 5 juillet 1911, il est mort le 10 novembre 1976. Il n’a jamais eu le mode d’emploi du monde, ni de l’art, ni du cœur.


* Le site de Françoise Cloarec
 
* MARCEL STORR ET LES GRIGRIS DE SOPHIE
 
(cliquer sur les liens)
 
 
MARCEL STORR BÂTISSEUR VISIONNAIRE

au Pavillon Carré de Baudouin
121 rue de Ménilmontant, 75020 Paris
Entrée libre
jusqu'au  31 mars 2012 (prolongation exceptionnelle grâce au fabuleux succès rencontré par l'exposition !)

lundi 6 février 2012

MARCEL STORR JUSQU'AU 31 MARS AU CARRE BAUDOIN A PARIS



J'ai vu des photos, lu le dossier de presse, vu bien  sûr tout ce que les journaux ( du Monde à Télérama !) avaient écrit sur l'exposition " MARCEL STORR, BÂTISSEUR VISIONNAIRE ", et pourtant  je ne pensais pas éprouver une telle joie, une telle émotion  samedi !

Les visiteurs sont incroyablement nombreux,des adultes bien sûr mais aussi beaucoup de couples avec des enfants, voilà pourquoi aujourd'hui je ne mettrai pas en ligne les tableaux dans leur totalité mais des détails, de fabuleux et émouvants détails .

Comme autrefois avec les aventures de Charlie (ceux qui ont aujourd'hui de grands enfants se rappellent sans aucun doute les heures passionnantes à chercher ce petit personnage )

Où est Charlie ?

" Hé, fans de Charlie, êtes-vous prêts à relever de nouveaux défis ? Charlie vous entraîne dans de folles aventures! Traversez la jungle marécageuse, explorez les couloirs du temps, aidez des marins à combattre des monstres... Que d'émotions La Charlie mania va encore faire des victimes! Soyez vigilants, lecteurs intrépides, et gardez vos sens en éveil écoutez une joute musicale, sentez des fleurs enivrantes, goûtez des gâteaux appétissants, caresser des centaines de chiens... Et surtout, faites bon usage de votre cinquième sens : la vue! Ouvrez l'oeil pour trouver Charlie, Ouaf, Félicie, Pouah, Blanchebarbe et une foule d'autres personnages et objets cachés dans toutes les pages. C'est incroyable! Plus de trente millions de lecteurs ont trouvé Charlie dans plus de trente pays différents. Et vous, l'avez-vous déjà repéré ?"


 Entrer dans l'univers de MARCEL STORR c'est entrer dans un monde foisonnant de détails invisibles au premier coup d'oeil... puisqu'au premier coup d'oeil jaillissent  des cathédrales, des basiliques, des mégapoles !

Partons à la recherche des voitures, des bateaux, des girafes et des éléphants, des cavaliers, des personnages minuscules mais si expressifs, il y a un Dieu tutélaire caché dans un buisson et tout un incroyable statuaire, des bancs et des lampadaires ... bref des petits trésors horizontaux ajoutés à la délirante verticalité !























Et un mystère reste entier, MARCEL STORR,  à côté de sa signature a ajouté l'année de création et un chiffre dont on ignore tout ... N'hésitez pas à émettre des hypothèses et à partir dans les idées les plus folles  !


 *** Autour de  MARCEL STORR existent des ouvrages ....

* Il y a le texte de Laurent Danchin , écrivain, conférencier ,critique d’art et commissaire de l’exposition

 " Les basiliques et cités paranoïaques de Marcel Storr (1911-1976)" dont j'ai parlé sur ce blog.

 * En octobre 2010, Françoise Cloarec, avec le récit " Marcel Storr, architecte de l’ailleurs"   (Phébus), nous faisait pénétrer dans l’univers onirique du peintre autodidacte, Marcel Storr, fils de l’Assistance publique et cantonnier à la ville de Paris.
Françoise Cloarec est psychanalyste et peintre, diplômée des Beaux-Arts de Paris. Elle a consacré une thèse de psychologie clinique au peintre autodidacte Séraphine de Senlis avant de lui dédier un essai, Séraphine, sorti chez Phébus en 2008.


 L’exposition au pavillon Carré de Baudouin, réunissant pour la première fois du 15 décembre 2011 au 31  mars 2012 l’intégralité de l’oeuvre de cet artiste totalement hors-norme, est l’occasion pour les éditions Phébus de proposer un catalogue exhaustif de cette oeuvre magistrale ( hélas momentanément épuisé )comportant aussi des textes de Liliane et de Bertrand  kempf.







Laurent Danchin a eu la gentillesse de me confier le texte qu'il a écrit pour ce catalogue.  
Surtout ne passez pas votre chemin, ce texte, un peu long peut être pour un blog ,évoque avec une rare finesse la vie , l'oeuvre et les mystères  de Marcel Storr   :

Le génie à l’état brut



" Découvrir une œuvre exceptionnelle, tout entière et d’un seul coup, trente-cinq ans après la mort de son auteur, est en soi un événement. L’univers clandestin de Marcel Storr, cantonnier du Bois de Boulogne, n’a en effet jamais  été montré encore dans sa totalité, et si l’on excepte une présentation très partielle à la Halle Saint Pierre il y a dix ans, puis une apparition éphémère, en 2005, à la mairie du 9ème arrondissement, avec ensuite quelques dessins figurant dans diverses manifestations à Bratislava et en Allemagne, ou encore à Sète, au Musée International d’Art Modeste, il n’a jamais fait l’objet d’une exposition exhaustive, comme celle dont le pavillon Carré de Baudouin aura eu le privilège pour la première fois.

Dans le petit monde de la création autodidacte, dont un réseau d’amateurs assure depuis longtemps la promotion, peu d’auteurs ont, comme Marcel Storr, maintenu leur activité artistique à l’abri de tout regard pratiquement jusqu’à la fin de leur existence, et sans la curiosité fortuite de Liliane Kempf il y a quarante ans, les cathédrales fantastiques et villes futuristes du balayeur auraient sans doute, dans le meilleur des cas, fini leur carrière sur e-bay ou dans les vieux cartons d’une échoppe de brocanteur. Le cas n’est pourtant pas unique d’œuvres extraordinaires découvertes in extremis, soit à la veille du décès de leur auteur, soit à titre posthume quelque temps après. On pense ici à la révélation spectaculaire de deux ‘outsiders’ américains : Henry Darger (1892-1973), le reclus de Chicago, père imaginaire des Vivian Girls dont la narration immense et les illustrations géantes qui l’accompagnent n’ont été exhumées du désordre de son appartement qu’au moment où il venait de déménager pour une maison de retraite. Ou alors, moins connu en France, Achilles G. Rizzoli (1886-1981), dessinateur industriel californien dont les fantaisies architecturales, d’un symbolisme très sophistiqué, ne furent découvertes par la galeriste Bonnie Grossman que neuf ans après sa mort, en 1990, à San Francisco. Car c’est bien en cette prestigieuse compagnie, et nulle autre, qu’il faut envisager l’univers stupéfiant de l’inconnu du Bois de Boulogne.

Sur l’auteur de ces œuvres étonnantes, né et mort à Paris, on ne sait pas grand-chose, mis à part le témoignage tardif de ses découvreurs, et ce qu’a pu trouver sa biographe, Françoise Cloarec, au cours de recherches plus récentes. De ce qu’il pensait, surtout, on ne sait rien, ce qui redouble encore le mystère de la découverte, et livre à notre pure fantaisie les clefs de l’interprétation. Enfant abandonné, sans doute de père inconnu et portant le nom d’un autre, Storr, né en 1911, a commencé sa vie de misère tout en bas de l’échelle sociale, et il ne s’était guère élevé d’un cran quand il mourut, cancéreux, à l’hôpital Tenon, en 1976. De constitution rachitique, « difficile à élever », souvent admis au sanatorium ou hospitalisé, il était pupille de l’Assistance Publique et, comme Adolf Wölfli, le grand génie de l’art brut, passa une enfance terrible placé dans des fermes, où il devint sourd, affirmait-il plus tard, pour avoir été souvent battu. Pratiquement illettré – il savait tout juste signer son nom, que l’on trouve même souvent deux fois sur ses dessins ! –, il exerça par la suite divers petits métiers, plongeur dans un lycée, débardeur aux Halles ou employé d’une société de nettoyage (il aurait même été un temps mineur de fond), avant de trouver, en 1964 seulement, un emploi plus stable auprès de la Ville de Paris comme « cantonnier d’empierrement saisonnier ». Traduire : balayeur au Bois de Boulogne, affecté près du « Polo de Bagatelle », expression mystérieuse que, nous dit Liliane Kempf, dans sa culture purement orale il interprétait comme le nom d’un voisin protecteur !

Aujourd’hui, grâce à Françoise Cloarec, qui a pu avoir accès à son dossier médical, on sait que Storr, vers la fin de sa vie, ébranlé entre autres par le décès de sa femme et l’obligation de déménager à Saint-Denis, dans un lieu sinistre et insalubre, fut hospitalisé d’urgence à Sainte-Anne puis à Ville-Evrard, après un accès de délire qui avait dû affoler les voisins. C’était en septembre 1974, après quoi il fut suivi en post-cure, presque jusqu’à la fin, ce qui nous donne sur lui quelques renseignements supplémentaires. Souvent moqué par ses collègues, Storr vouait alors à l’humanité une haine définitive et, convaincu de la malveillance de son entourage, vivait dans la hantise d’être volé. Mais cette tendance à la paranoïa, ce côté borderline venaient de plus loin. Bertrand et Liliane Kempf qui, à l’époque où il vint solennellement leur confier ses dessins pour qu’ils les mettent en lieu sûr, l’ont vu souvent arriver chez eux, un papier administratif à la main, décrivent un homme taciturne, aigri, de surcroît difficile à comprendre quand il grommelait quelque chose. Déclarant détester les paysans, mais aussi les Juifs et les communistes, c’était un homme de la ville qui n’aimait ni les enfants ni les animaux. Allergique aux concierges, il avait épousé pourtant une gardienne d’école – une femme haute en couleurs que les élèves appelaient Belphégor –, et il tenta désespérément de se remarier par petites annonces après sa disparition.

En fait, Storr, comme bien des créateurs, était un hypersensible abritant sa fragilité sous une carapace rébarbative, et c’est cet homme seul, ce misanthrope, triplement isolé par sa surdité et son illettrisme mais aussi par le don qu’il portait en lui, qui devait, tout au long de son existence misérable, construire en cachette un monde parallèle, évasion vers les hauteurs représentant à la fois son oxygène quotidien et sa revanche secrète contre l’humiliation permanente. En tout, ne subsistent aujourd’hui qu’une soixantaine de dessins de Marcel Storr, ce qui est en somme assez peu. Les autres ont-ils été perdus, donnés ou détruits au cours de ses déménagements ? On ne sait. Mais il s’agit de dessins habités, d’une extraordinaire densité et force de fascination. Toute une vie s’y est inscrite, y a mis ses souffrances, ses rêves et ses pensées. La plupart sont d’assez grand format, les plus anciens coloriés aux crayons de couleur, les plus récents – les meilleurs – à l’encre, et tous ne représentent que deux sujets : d’abord des églises, basiliques ou cathédrales, gigantesques et proliférantes, puis, dans une deuxième période, des mégapoles futuristes, contemporaines des Tours de La Défense.

Encore un peu naïves et laborieuses, mais manifestant déjà un souci obsessionnel du détail, les œuvres les plus anciennes datent des années 1930, tandis qu’après l’interruption de la guerre, où il fut brièvement mobilisé puis réformé, on ne trouve que quelques dessins disparates, sans doute des années 1950, dont un très beau diptyque aux allures de gratte-ciel un peu stalinien et le triptyque d’une église géante où, selon Bertrand Kempf, le motif de la crosse gothique serait répété plus de 600 000 fois. Mais c’est l’année où il obtient enfin un emploi régulier, 1964, l’année aussi de son mariage, que l’art de Storr trouve son épanouissement. D’abord avec la série des églises : 25 variations sur le thème de la cathédrale, dessinées en un temps record, de plus en plus éloignées du réalisme, voire délirantes à partir de la treizième, le végétal et le minéral étant confondus et l’humanité réduite à la taille de fourmis. Puis sur un format plus grand, de 1965 à 1975, au rythme d’environ deux à trois dessins par an, la série des mégapoles : seize villes de science-fiction, toutes d’un mode d’organisation différent. A quoi s’ajoutent encore, après la mort de sa femme, quatre dessins très colorés. D’une série à l’autre, entre la reconstruction imaginaire du passé symbolique, en souvenir peut-être de ces bonnes soeurs auprès desquelles il aurait, nous dit-on, trouvé refuge à l’adolescence et, volte-face complète, l’ouverture à l’avenir et l’exploration d’un futur sans limites, le présent, détestable, se trouve heureusement escamoté. Parallèlement – est-ce un hasard ? –, à l’extérieur une révolution culturelle tentait de balayer le vieux monde : Mai 68.

C’est le soir, dans sa cuisine, enfin libéré des tâches alimentaires, que Storr dessinait, sur de grands cahiers à spirale de papier Canson, avec une batterie de crayons très affûtés et de petits pots d’encre Colorex. Il procédait en deux temps : la construction d’abord, extrêmement fouillée et minutieuse, de ses bâtiments, avec tous les accessoires : arbres, personnages, animaux et, dans ses villes, des véhicules extraordinaires mêlant tous les styles et tous les temps, de la caravelle à l’hélicoptère ou à la soucoupe volante. Cette première phase devait lui prendre des nuits et des nuits, pendant lesquelles il s’identifiait totalement à son univers, comme un romancier mythomane dialogue avec ses personnages. Ensuite il coloriait son dessin et, pour finir, sauf sur le ciel, y passait un vernis de sa composition qu’il égalisait au fer chaud, donnant à sa feuille, presque gravée, cet aspect si caractéristique de cuir de Cordoue. C’est ce travail très soigné, en deux étapes, qui explique peut-être la double signature, confirmant, s’il en était besoin, à quel point Storr avait conscience de faire œuvre extraordinaire : une signature pour authentifier l’inventeur et l’architecte, une autre pour le patient exécutant. Car il n’était pas question qu’on lui vole, non pas tellement ses dessins – matériellement il ne s’en préoccupait guère – mais ses inventions, tout ce qu’il avait mis dedans.

Stylistiquement comment qualifier ce type d’univers, à quelle famille artistique le rattacher ? Que l’on aime ou pas la notion, c’est à coup sûr un exemple fascinant d’« art brut » au sens de Jean Dubuffet. Il s’agit de la création clandestine, tardive à cause des contraintes du métier quotidien, d’un autodidacte obsessionnellement possédé par une inspiration qui, littéralement, le dépasse et n’a rien à voir avec le souci de faire œuvre d’art. D’ailleurs, « homme du commun » s’il en est, de surcroît illettré, il n’est passé par aucune école, n’a visité aucun musée et doit tout réinventer pour son propre compte, son dessin, ses techniques, afin de pouvoir, à sa façon – dans son style propre –, donner une idée du monde qui l’habite. Storr, au sens académique, ne sait pas dessiner, ses perspectives sont bancales, d’un cubisme involontaire ? Là n’est pas l’essentiel : créer pour lui est un besoin vital et tous les moyens sont bons pour le satisfaire. Car ce n’est pas être appelé artiste qui lui importe, mais échapper à ce monde pour en inventer un autre, plus beau. L’argent d’ailleurs ne l’intéresse pas, la gloire, il n’en est pas question, à la rigueur ce serait une vague idée de la postérité qui pourrait le tourmenter, une idée abstraite du futur où son œuvre se montrerait utile et où seraient enfin reconnus ses dons.

Aujourd’hui il est de bon ton de pratiquer la déconstruction du concept d’art brut et, au nom de l’Art, de ne plus faire de différences entre les genres ou les catégories. Il est vrai que les critères esthétiques de l’art brut n’ont jamais été clairement définis et que, purement intuitifs chez Dubuffet, ils sont restés trop longtemps noyés dans des considérations psychologiques ou sociales mettant en valeur la biographie ou les intentions des auteurs au détriment des caractéristiques formelles. Pourtant certaines distinctions, évidentes autrefois, mériteraient d’être remises au goût du jour, en particulier l’opposition entre la culture savante et la culture populaire et, ce qui importe surtout ici, entre deux approches du dessin et de la création plastique : l’une très sophistiquée, plus ou moins liée à la mimésis photographique et reposant en général sur un long apprentissage, et l’autre, qu’on l’appelle ‘brute’ ou ‘naïve’, plus spontanée, isolée, élémentaire, obéissant à des canons différents. C’est évidemment à cette approche non savante que correspond la manière de Storr, avec ses perspectives approximatives, ses plans rabattus comme dans le dessin d’enfant, et sa complexité générale mais par accumulation d’éléments simples, sans compter sa forme de maladresse qui, lorsqu’elle apparaît, n’a rien de voulu à la différence de tant de ténors de l’art professionnel.

Savante ou non, toute œuvre géniale au premier abord nous paraît unique, inclassable, et nous éprouvons un choc à la voir pour la première fois. Comme les grands inspirés, réformateurs ou inventeurs de mondes, Storr, le balayeur du Bois de Boulogne, était un génie visionnaire, et il le savait. Et c’est cette conscience de ne pas être comme tout le monde qui l’aidait sans doute à supporter sa condition matérielle. Etait-il normal ? Certainement pas. Fou ? Pas davantage, mais condamné à l’autisme social du créateur qui se réfugie dans son monde. Quant à cette obsession des tours qui prit, au fil du temps, deux formes différentes, en connaissait-il lui-même la raison ? Eut-elle d’abord une intention religieuse, puis une visée plus politique dans le contexte de l’imaginaire apocalyptique ou anti-nucléaire de son temps ? Nul ne le saura jamais. Métaphore même de l’esprit d’invention, fruit d’un pur élan vital et d’un instinct obscur de transcendance, comme les Tours de Watts de Simon Rodia à Los Angeles, les constructions secrètes de Marcel Storr resteront une énigme, un cas spectaculaire de résilience du génie créateur et un singulier exemple de ce qu’il peut y avoir de plus remarquable dans l’art populaire contemporain."



IL NE FAUT, SOUS AUCUN PRÉTEXTE, MANQUER CETTE EXPOSITION !

Soyez vigilants,visiteurs intrépides, et gardez vos sens en éveil !

* LES GRIGRIS DE SOPHIE ET MARCEL STORR
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lundi 28 novembre 2011

" LES BASILIQUES ET CITES PARANOIAQUES DE MARCEL STORR ... "PAR LAURENT DANCHIN


En juin 2009 a été édité chez lelivredart un ouvrage passionnant , à la fois érudit et limpide :

" Le dessin à l'ère des nouveaux médias " .

A la page 177 de cet ouvrage " Les basiliques et cités paranoïaques de Marcel Storr (1911-1976) :
la revanche d’un imaginaire clandestin" est un chapitre indispensable à lire pour apprécier l'oeuvre de MARCEL STORR et l'exposition qui commence le 16 décembre

" MARCEL STORR, BATISSEUR VISIONNAIRE " et qui sera visible jusqu'au 31  mars 2012 au Pavillon Carré de Baudouin à Paris .




" A une époque où l’art des autodidactes est plutôt à la mode, les cas d’art brut authentique semblent de plus en plus rares . C’est ce qui rend si précieuses les églises et villes futuristes de Marcel Storr, une petite cinquantaine de grands dessins au crayon ou à la plume rehaussés d’encres de couleur, découverts un soir de 1971 par un couple d’amateurs d’art parisiens. Tout un univers d’édifices proliférants, tendant vers le ciel une infinité de flèches, tours, dômes, pinacles, minarets aux allures agressivement minérales ou végétales, l’humanité y étant réduite à la condition de fourmis grouillant au sol, sous des cieux pommelés lourds de menaces fantastiques.




Enfant abandonné, battu, placé dans des fermes puis confié à des bonnes sœurs en Alsace, Marcel Storr avait été tantôt mineur, tantôt débardeur aux Halles, avant de trouver un poste de cantonnier de la ville de Paris en 1964, année de son mariage. Dessinateur clandestin, conscient de son génie, il était depuis longtemps employé à ramasser les feuilles au bois de Boulogne lorsque sa femme, gardienne de l’école primaire du 35 rue Milton, dans le 18ème arrondissement, profita un soir de son absence pour entraîner dans sa cuisine M. et Mme Kempf, qui sortaient d’une réunion de parents d’élèves. Bien cachés sous la toile cirée, tous les dessins étaient là, la plupart réalisés sur papier Canson, dans un grand cahier à spirales.



Quand son épouse mourut un an plus tard, Storr, né à Paris le 3 juillet 1911 , fit le projet de se remarier. Il demanda alors à M. Kempf, devenu son protecteur, de l’aider à rédiger, pour une agence matrimoniale, l’annonce suivante : « Marcel – veuf – 61 ans – catholique – employé fonctionnaire – gain normal – quelques économies – logé dans une école – allure simple – 1 m 68 – 55 kg – bon caractère – aime la nature, architecture et faire de la peinture ». D’après le peu que nous sachions avec certitude sur son compte, il semble que le nouvel aspirant au mariage ait eu au contraire un tempérament plutôt colérique, voire désagréable, et une tendance à se sentir toujours persécuté, héritée des sévices subis au cours de sa jeunesse. Pratiquement sourd pour avoir été trop souvent battu, antisémite à l’occasion, et marmonnant souvent des propos incompréhensibles, il avait aussi, sans doute, été prisonnier de guerre et un trou de vingt ans dans sa biographie laisse penser qu’il fut à plusieurs reprises l’objet de soins psychiatriques : pour la période plus récente, on sait à coup sûr qu’il fut admis en hospitalisation libre à Ville-Evrard en 1974, puis suivi en postcure les années suivantes .



C’est vers la fin de sa vie que Marcel Storr vint un jour confier tous ses dessins à la famille Kempf, pour les mettre à l’abri. Ne donnant jamais suite quand on lui parlait de ventes ou d’expositions – il voulait bien donner ses dessins, mais pas en tirer bénéfice –, il avait pris l’habitude de débarquer sans prévenir, chaque fois qu’il avait des démarches à entreprendre ou des papiers administratifs à remplir. Et il mourut, sans doute d’un cancer, le 10 novembre 1976, à l’hôpital Tenon, quelque temps après avoir été relogé dans un appartement insalubre à Saint Denis. « Totalement renfermé, névrosé, parlant peu, et avec une élocution difficile – il ne portait un appareil contre la surdité que depuis 1961 – c’était le type même, dit M. Kempf, du solitaire incompris qui ne vit que par son imaginaire. Par et pour son ‘œuvre’ : son seul but, sa seule compensation, sa seule passion. Il ne peignait ni pour plaire, ni pour être exposé, ni pour être connu, ni même sans doute pour se distraire, mais simplement par une sorte d’instinct, pour répondre à on ne sait quel appel ou devoir… Jamais il n’a montré ses œuvres à qui que ce soit. S’il nous les a confiées, ce n’était pas pour nous les faire admirer mais pour qu’elles soient en sécurité, et jamais il n’a demandé à les revoir. ».





Quatre ensembles de dessins, correspondant à autant de périodes, constituent toute la production de Marcel Storr connue à ce jour. D’abord quelques grands dessins d’avant-guerre, datés 1932 ou 1936-1937, sur un papier jauni, scotché au dos. Il s’agit déjà de dessins d’églises, naïfs et réalistes à la fois – les statues et les briques y sont reproduites minutieusement une par une –, avec toutefois une surcharge architecturale un peu inquiétante et une tendance à l’interprétation délirante. Certains sont coloriés, d’autres au crayon seul, d’autres encore repris aux encres, sans doute dans les années 60, avec l’ajout d’un premier plan de foules et d’arbres, comme dans sa manière ultérieure. Dans cette période, l’imagination architecturale semble encore coincée par le parti pris imitatif ou réaliste de départ, et surtout par la lenteur minutieuse de l’exécution, même si, en cours de route, l’auteur ne semble pouvoir réfréner un besoin d’accumuler les éléments décoratifs ou architecturaux, dérive plus conforme à la rapidité de l’imaginaire.



Suit une période creuse, qui n’a laissé que quelques très grands dessins d’églises datant des années 1950. Et on arrive à un magnifique carnet de 25 dessins de format moyen – 30 x 36,5 cm –, tous datés de 1964 : des cathédrales aux allures de palais, cette fois totalement imaginaires, évoquant les styles les plus grandioses, du Sacré Cœur au Kremlin, de Sainte Sophie au gothique anglais ou au baroque autrichien ou allemand. Présentés toujours de profil, la façade déformée en perspective cubiste à gauche, et prenant parfois l’allure de bouquets de clochers pointus, de cristallisations bizarres ou de forêts de champignons géants, ces édifices d’une beauté terrifiante, dessinés au crayon puis coloriés à l’encre, montrent toujours, au premier plan, de minuscules personnages évoluant sur des séries de parvis ou déambulant entre les parterres de fleurs ou les pelouses sous des arbres – souvent le cèdre –, tandis que l’ensemble est couvert d’un ciel nuageux plus ou moins menaçant. Manifestement l’humeur maniaco-dépressive de l’auteur se fait sentir dans les derniers de ces travaux qui accumulent sans retenue les clochers, tours, motifs phalliques et forêts d’antennes, comme pour « griffer le ciel », dit Mme Kempf, alors que, simultanément, l’image semble de plus en plus déformée. Cette série pourrait avoir été réalisée à l’hôpital psychiatrique, mais ce n’est qu’une hypothèse .



Le dernier ensemble, daté 1969-1975 et resté inachevé, est l’aboutissement de cette exaltation néo-babylonienne. Il s’agit cette fois de dix-neuf projets de villes ou de bâtiments démentiels, certains évoquant le temple d’Angkor Vat, le palais mégalomaniaque de Ceaucescu ou des fantaisies urbanistiques encore plus radicales que les dessins de Robida ou le plan Voisin de Le Corbusier. Toutes ces constructions, ces tours, ces villes flottantes sont présentées le plus souvent en perspective, mais avec des points de fuite contradictoires au sein de la même image et des effets maladroits de plongée ou contre-plongée pour accentuer l’effet de gigantisme et souligner la fuite des bâtiments vers le ciel. « Storr se croyait investi d’une mission, nous dit M. Kempf. Il était persuadé que Paris allait être détruite et que le Président des Etats-Unis allait en personne lui rendre visite, pour lui emprunter ses dessins et reconstruire la capitale exactement selon ses plans. » De son travail au Bois de Boulogne, il est vrai que le cantonnier avait eu le temps de voir émerger, au loin, au-dessus de la cime des arbres, les tours de la Défense . A son cerveau d’inventeur, le vieux Paris semblait totalement dépassé.



Alors que les églises, avec leurs dômes proliférants, leur flèches, leurs contreforts et leurs arcs-boutants, leurs clochetons, leurs porches immenses, leurs gerbes et leurs palmiers de pierre, avaient chacune une dominante, jaune ou vert, orange, rouge ou noir, les villes, elles, ont une atmosphère plutôt rouge-orange où se noient leurs perspectives éclatées, leurs grands obélisques semblables à des tours de contrôle, et les colonnes à étages de leurs étranges ziggourats, stalagmites démesurés parfois connectés entre eux comme les Tours de Watts à Los Angeles. De la basilique ou de la cathédrale, évoquant l’ambition spirituelle d’un temps révolu, on est passé à un nouvel espace mental, beaucoup plus complexe, un nouveau gigantisme, urbanistique et futuriste, poussant au paroxysme la folie du gratte-ciel – réactivée d’ailleurs au même moment par les projets pharaoniques de l’Asie du Sud-Est, souvent montrés à la télévision, et par leur Utopie de villes-tours intégrées comme à Kuala Lumpur.




Architectures totalitaires, comme la plupart des rêves de science-fiction, les villes de Marcel Storr, sur chacune desquelles il avait dû besogner des mois dans la solitude de son petit logement de fonction, prenaient pour lui un caractère de réalité, comme il arrive à ces romanciers qui, à force de raconter des histoires, finissent eux-mêmes par y croire . « Il suffirait de les filmer, c’est réel ! » disait-il parfois, ou alors : « Vous allez filmer ça et ça va vivre, exister ! ». Et à Mme Kempf, à qui il montrait son projet grandiose de villes flottantes, avec des fleuves traversés de ponts suspendus comme à Tancarville, des Caravelles, des véhicules amphibies ou des navires futuristes un peu partout, et des rangées d’arbres lumineux sur des sortes de passerelles, il disait : « Je creuse autour et je mets de l’eau. Vous allez voir, les lumières vont s’allumer ! Les photos que vous allez prendre, ça aura autant de valeur que les dessins ! ». Démiurge dépassé par la force de ses inventions, il accordait à l’idée encore plus d’importance qu’à la matérialité de sa réalisation.



« On remarque, note M. Kempf analysant une œuvre inachevée, que Storr exécutait son dessin en partant d’un angle et en remplissant la feuille au fur et à mesure, sans avoir crayonné au préalable un tracé ou un contour général. » Comme les miniaturistes, les artistes naïfs sont des maniaques du détail qui, le plus souvent, avancent, le nez sur la feuille, sans véritable plan préconçu. Ils sont dans leur dessin, à l’intérieur de leur espace de représentation, et n’en prennent une conscience globale qu’à la fin, une fois la progression terminée. La distance à l’œuvre n’est pas la même que chez l’artiste professionnel. Dans les églises de Marcel Storr, les personnages lilliputiens du premier plan de même que tout l’appareillage, les clochetons, les pinacles, les marches des escaliers ou les sols en damier sont d’une finesse incroyable . Complètement absorbé par sa tâche, concentré à l’extrême au point d’en oublier tout le reste, leur auteur, pour parvenir à une telle précision, n’utilisait que des crayons durs, affûtés comme des aiguilles, avec lesquels il gravait littéralement la feuille. Seules les œuvres de la fin sont réalisées directement à la plume, sans dessin sous-jacent, mais avec des encres de couleur, contrairement aux prévisions de M. Kempf qui, pour l’encourager, avait offert à Storr de l’encre de Chine noire, pensant l’aider à donner plus de force aux lignes de ses architectures.



« Dessiner, y a que ça que j’aime ! », avouait l’artiste clandestin à ses deux admirateurs. C’est dans un deuxième temps seulement qu’il utilisait la couleur, puis un vernis épais égalisé au fer chaud. Quel vernis ? « C’est mon secret ! », répondait-il en artisan roué qui garde ses recettes de fabrication. Pour les arbres, son domaine familier – il préférait les conifères, arbres à feuilles persistantes, qui ne font pas de saletés et lui donnaient moins de travail –, le cantonnier du Bois de Boulogne avait recours à une technique pointilliste, multipliant sur le feuillage les petites touches de couleur. Et quand tout lui paraissait fini, bien que presque illettré, il signait ses œuvres, souvent même deux fois. Signait-il le dessin d’abord, donc l’architecture, puis l’achèvement du tableau, une fois terminé le passage de la couleur ? Son travail en deux temps pourrait le faire penser. Reste la question principale : pourquoi aimait-il tant dessiner des églises ? Pour la raison sans doute qu’il ne s’était senti vraiment bien qu’une seule fois dans sa vie : quand, à l’âge de quinze ans, il avait été recueilli par les bonnes sœurs. Unique point d’ancrage de son existence, les édifices religieux, depuis, avaient pour lui valeur de repère. Mais l’explication paraît quand même insuffisante et il faut imaginer des motivations plus complexes à des œuvres d’une telle qualité.




Rarement exposés, les travaux énigmatiques de Marcel Storr offrent toutes les caractéristiques de l’art brut au sens le plus orthodoxe : semi autisme de leur auteur, absence de racines artistiques définies, spontanéité d’inspiration et précision maniaque sur un thème fortement obsessionnel et peu évolutif. Clandestinité aussi de l’acte créateur, mais avec la conscience forte de faire œuvre originale, l’ensemble procédant à coup sûr d’une vision paranoïaque de la réalité, ou d’une sorte de dissidence mentale fondatrice d’une théorie du monde et des choses, délirante sans doute, mais non dépourvue de cohérence. Tout, la pauvreté des moyens utilisés et la facture, complexe en apparence mais élémentaire dans le détail, les motifs récurrents à l’infini, l’élaboration partie par partie sur un schéma général toujours le même, mais aussi la patience compulsive et la fondamentale maladresse technique, compensée par la force de la pulsion expressive et l’invention de solutions de remplacement, concourt à donner à ces images, d’un style immédiatement reconnaissable, le pouvoir de fascination et la prégnance si distinctifs de l’art brut.

Ses collègues se moquaient de lui, le traitaient de ‘naïf’. Bâtisseur de temples, de cathédrales, puis de villes entières dans le silence étouffant de la solitude, Marcel Storr, comme Ferdinand Cheval ou Raymond Isidore, opposait à son destin ingrat la tentative symbolique de créer un monde parallèle, compensatoire, un autre monde meilleur, mieux fait, dont il était le démiurge et qui nous apparaît aujourd’hui, à travers la beauté étrange de quelques planches coloriées, comme la revanche définitive du souffre-douleur . "







* Les notes nombreuses  qui accompagnent cet article n'apparaissent pas ici, que ceux qui aiment l'ART BRUT se procurent le livre de Laurent Danchin :

http://www.lelivredart.com/librairie.php?url=oeuvre&isol=1053

Cet ouvrage évoque des dessinateurs non professionnels (Raphaël Lonné, Marie-Jeanne Gil ...) et professionnels  (Jean de Maximy, Jean-Luc Giraud, Davor Vrankic)


* MARCEL STORR ET LES GRIGRIS DE SOPHIE
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* Les photos présentées ici sont la propriété de Liliane et Bertrand Kempf