Heureusement l'exposition "A VIF AU 100" est prolongée une semaine !
Vous avez jusqu'au 24 octobre pour découvrir une partie de la fascinante collection d'
ALEXANDRE DONNAT.
Les Jaber sont fabuleux bien sûr, moi j'ai eu un total coup de cœur pour les dessins de Jim Sanders
et le crucifix de Mister Imagination !
A NE PAS MANQUER !
Et le texte de THOMAS A. RAVIER qui accompagne l'exposition :
Nous voulons la paix des chiens
Par Thomas A Ravier
Je ne sais pas ce qu’est l’art brut. Et je ne veux pas
le savoir. Quand un islamiste égorge en
pleine rue un journaliste, c’est peut-être, en effet, de l’art brut ? Quand
une petite fille, il y a quelques années de cela, de retour de son cours de
danse un jour d’orage, alors qu’elle traversait, à en croire la presse, le parc
Monceau en tutu, a été foudroyée par un éclair, c’est sans doute, j’imagine, de
l’art brut ? La nature, parlons-en ; elle a comme ça des fulgurances
qui n’ont rien de culturel. Le hasard, qui est toute la grâce, se moque des
fétiches comme des dégâts souvent effroyables qu’il engendre. Son seul principe ?
Mettre le feu aux amulettes ! Que
je sache, Dieu n’a jamais fait les Beaux-Arts ? Ça peut aider à créer le
monde.
D’autant que ces accidents parfois monstrueux du réel
dont je parle sont désormais systématiquement scrutés, et enregistrés. Le fait
est. En délivrant à mes contemporains béats l’universel smartphone, on a ouvert
grand les portes de l’asile et transformé la rue en lieu d’improvisation en
ligne d’une brutalité sans nom ; le
moindre analphabète y va de son chef-d’œuvre anonyme, anonyme et, selon le vœu
de Dubuffet, « libre de toute filiation », sinon envers la technique
elle-même. Encore, encore et toujours de l’art brut… Seulement… Seulement le
cœur a ses raisons que les réseaux ignorent. L’art est un acte d’amour, comme
tous les grands sacrifices. Mais c’est un sacrifice sans victime (au contraire
de ce qui a lieu à chaque seconde dans l’espace social). Et c’est là que ça
devient drôle.
Le premier à avoir retenu mon attention dans la
collection d’Alexandre Donnat, c’est Jaber. J’ai ri, et vous rirez j’espère,
devant ses incantations espiègles placardées sur les murs bariolés de son
Lascaux lyrique. Examinez attentivement son Mitterrand… Il ne lui manque que sa
francisque ! À ceci près qu’avec Jaber, cette francisque serait un
pin’s !
Plus loin, quelle merveille que ce gentil petit christ
basané, signé de Mr Imagination ! Il bronze tranquillement, dirait-on, sur
sa croix, au soleil de la foi. Du lointain d’une crucifixion placide, il semble
ajouter une parole supplémentaire à celle de son glorieux prédécesseur au Golgotha :
« Au moins, je suis fixé. »
Ah, voici les fusils d’opérette de Robillard… Y a-t-il
plus beau meurtre que celui bricolé dans un jardin, par un assassin du
dimanche ? Ces fusils, je les imagine volontiers sur l’épaule d’un Arlequin
maquisard ou d’un sniper pacifique… Autant d’armes après la vue desquelles on
ne devrait plus jamais tirer sur quelqu’un sans s’étrangler de rire, n’est-ce
pas. On peut rêver. Prendre la clef des champs, même s’ils sont désormais
génétiquement modifiés… Au bout, peut-être, comme dans le poème de Ponge ou la
chanson de Ferré, la paix des chiens.
Jaber… Robillard… L’abbé Coutant… Dans un monde d’émotions
muséales et de chefs-d’œuvre authentifiés, le spectateur de demain aura de plus
en plus besoin d’objets négligés reposant
sur un détail artisanal mélodieux.
Surprise : Alexandre Donnat, au risque de
déconcerter le spectateur et son œil concupiscent, a pris le parti de supprimer
les illustrations de son catalogue. Il ne s’agit pas, me semble-t-il, d’un geste
iconoclaste fortuit, d’un simple caprice d’impression. Pas non plus de pages
blanches, avec ce que cela suppose d’intimidation psychologique. Que cette
disparition soit une apparition ; mieux, une diversion. La peinture ? De la parole pigmentée. Face à l’interrogation culturelle, l'art
a toujours rendu copie blanche, il en va de sa noblesse intransitive. Un peu de
silence formel, s’il vous plaît, contre le bavardage de la représentation… La
peinture n’est pas une image, elle ne relève pas d’une opinion visuelle relayée
par quelques esthètes privilégiés - lesquels appellent physique ce qu’ils ne
ressentent pas et métaphysique ce qu’ils n’ont pas compris. On a trop tendance
à confondre un tableau avec quelque espèce
d’étendue locale (appréciation académique que le moindre tableau de Ronan
Barrot ruine à jamais). En d’autres termes, la peinture ne s’expose pas ;
sinon à la grossièreté du regard public. La foi seule enfante la vue. Pourquoi
croyez-vous que le vin, lors de l’eucharistie, est blanc, et non rouge, comme
vous aurez tendance à le penser dans un souci de réalisme malvenu ? Comme
par hasard, c’est une des premières choses dont Donnat m’a parlé : le
catholicisme… L’incarnation… La présence réelle…
Je ne connais pas Alexandre Donnat. Nous ne nous
sommes jamais rencontrés. Nous nous sommes parlé, un soir, au téléphone, par
l’entremise de Ronan Barrot. Sa demande était la suivante : que j’écrive
le texte de ce catalogue. Qui ça, moi ? Moi, l’idiot sublime ? Je lui
ai dit : je suis un sublime idiot méridional. Il a ri. À dire la vérité,
je n’écoutais pas vraiment (depuis plusieurs semaines, allez savoir pourquoi,
je ne pensais plus qu’à l’affaissement impondérable de l’étamine). Puis Donnat
a évoqué en détails sa collection, et c’était comme si
Noé me parlait de son arche. Il était tard… Je n’avais pas dormi depuis
plusieurs jours… Sa conversation légèrement précipitée – celle d’un
interlocuteur en cavale – agissait étrangement sur moi : en raccrochant, ce
fut comme si je me réveillais d’un rêve. Donnat m’avait longuement parlé de lui,
évoquant une enfance fiévreuse avec un sens romanesque évident. Dans une
chambre à laquelle je donnais aussitôt les contours inquiétants de celle de
Rogojine dans L’Idiot (passant du Val-d’Oise
à Saint-Pétersbourg), je le voyais dans la peau à vif d’un enfant torturé par
l’eczéma qui se tord sur son lit pour se gratter jusqu’au sang… Digne d’un
tableau de Bacon, ravagé lui aussi, jeune, par l’eczéma.
Eczéma, du grec ekzein :
« bouillonner ».
Quel sens Donnat donnait-il à ces hiéroglyphes rubiconds ?
Naître, existe-t-il en effet plus irritant ? Qu’y a-t-il de plus irritant
qu’une existence à la recherche de sa propre incarnation (comme si un statut
biologique suffisait à régler la question de l’identité, auquel cas voilà la
religion ultime). De quoi bouillonner, en effet. La médecine, ennemie des grandes
vérités dramaturgiques, parle d’affection cutanée ? Pas du tout, il s’agit
d‘un enfant qui touche du doigt une autre forme, invisible, de présence à
travers ce qui fut pour lui, en somme, une première forme de collection, ici
corporelle : à travers ces propres traces.
Peut-on se gratter jusqu’au chiffre, ce péché originel
du collectionneur ? Avant de raccrocher, Donnat ne m’avait-il pas confié qu’il
se sentait, je le cite, « catholique » ? Or qui mieux qu’un
catholique sait, d’instinct, à quel point une plaie est un livre ouvert, que le
Christ a autant de bouches que de stigmates et un corps qui a valeur d’alphabet.
Saint Bernard, en baisant les blessures du Messie, en baisait, disent les pères
de l‘église, les sacrés caractères : « rassasié de son sang, et avec
cette divine liqueur il humait le mépris du monde ». Humer le mépris du
monde… Un saint serait une sorte de chien ? Un chien sacré ? De quoi
réveiller mon pitbull qui dort d’un œil mauve et bave sur un lit de parchemin…
Alexandre Donnat cherche la trace. Il va trouver. En offrant votre curiosité comme on offre son
sang aux œuvres de sa collection, nul doute que vous pouvez l’aider. L’aider à
trouver la paix. La seule paix vraiment gratuite :
la paix des chiens.
« Collection Alexandre Donnat, à
vif au 100 »
22 sept. - 24 oct. 2017
Au 100 : 100 rue de Charenton,
75012 Paris
Contacts : Eléonore
Létang-Dejoux, 01 55 78 05 55, evenements@100ecs.fr ; contact@collectionalexandredonnat.com
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