Suite à une publication Facebook de Samy Scuiller sur la maison d'Ambroise à Plogoff, mon amie Anouk a fait des recherches et a découvert cette belle histoire que je suis heureuse de vous présenter sur les Grigris aujourd'hui ...
Elle est dédiée bien sûr à Isabelle Pulby, ma correctrice unique et préférée, qui a pour animal totem le mouton.
Les photos de Samy
"Une vue extraordinaire attire le regard du promeneur dans l’anse du Loch. Une petite maison perchée sur les hauteurs de la pointe des moutons (Beg Ty an Deved / Ti Deñved / Penanty-Duet) semble défier les éléments. La présence de ce surprenant ouvrage en ces lieux encourage l’imagination vagabonde souvent fertile des Capistes, qui inventent des scénarios de construction, et s’interrogent de mille et une question, qui, pourquoi, comment…"
L’histoire de la petite maison de la Pointe des montons au Loch Plogoff (Raconté par son propriétaire : Ambroise L’HENORET)
Il faut remonter à l’aube de ma vie. C’était « à la Libération ».
En 1945, les armées d’Hitler qui contrôlaient les rivages venaient
d’être chassées. Les habitants récupéraient leurs territoires.
Ma mère, qui habitait au Havre avant la guerre, avait été
évacuée, enceinte, pendant le Blitz Krieg, ce qui m’a permis de naître à
Plogoff, deux semaines après l’arrivée.
Après avoir habité Kervit, puis Kergroas, tout près de la
chapelle, nous avons loué une maison à Audierne, où j’ai vécu de 1945 à
1949, toute la scolarité primaire.
Et il y avait le jeudi ! C’était, en ces temps lointains, « le
jour sans école ». Le mercredi soir je prenais « la Satos » pour
atterrir au Loch, devant le merveilleux café de Chan Gust et de Mary.
Là, mon grand-père, Chan Laurent Cariou, m’attendait avec impatience. A
l’arrivée, ma grand-mère, Ty Live à Rouzic, faisait des crêpes.
Le lendemain matin, c’était les moutons. Vers huit ou neuf
heures, on rassemblait tous les moutons du petit village (peut-être une
vingtaine) et il fallait les conduire « au Roz » d’où ils redescendaient
tranquillement tout au long de la journée. Chacun récupérait les siens
dans la soirée. En ce temps là, le « Feunten Yen » et « Le Roz » ne
ressemblaient pas à ce qu’ils sont devenus. Pas d’arbres, pas même de
buissons, une herbe très rase, incessamment tondue par des générations
de moutons, couvrait le sol.
les moutons de la pointe des moutons en 1964
Souvent Chan-Marie Deuffic se chargeait de conduire les moutons à la
pointe et il en profitait pour guetter l’arrivée providentielle, de
Tamov coat » (le bois était très précieux à cette époque). Chaque fois
que je pouvais, je l’accompagnais. Il ne me parlait qu’en breton et je
ne comprenais pas tout, mais ce qui me plaisait chez lui c’était sa
passion pour les épaves. Épaves, un bien grand mot, la plupart du temps,
une planche, un morceau de poutre, que la providence marine faisait
échouer sur nos côtes.
Et.... précisément, le coin qu’il avait choisi pour scruter
l’horizon et s’approprier le butin, c’était à la Pointe du Mouton, un
endroit particulier : des débris des carrières voisines avaient été
déversés là, formant un espèce d’éboulis qui surplombait la côte. Une
petite élévation, devant, nous protégeait du vent marin qui passait au
dessus de nos têtes.
Nous nous allongions là pour guetter les arrivages ! C’était pour
moi des moments merveilleux : je contemplais la mer. Quand je plongeais
mon regard vers la terre, le Loch, toutes les petites maisons des
villages (elles étaient en tout petit nombre comparées à celles
d’aujourd’hui) apparaissaient lointaines....
J’étais ailleurs...
C’est à ces moments bénis que s’est infiltré en moi, comme une
évidence, les puissantes évidences enfantines, le projet de construire
un jour ma maison sur la pointe. Dans ma tête, la grande quantité de
pierres était là comme une invitation. J’avais six, sept, huit ans, je
n’en parlais à personne mais le projet était là, puissant,
indestructible...
En 1949, après des années d’attente d’un logement, nous avons
émigré à Bordeaux, ce qui permettait de voir le père tous les 45 jours,
au lieu de six, sept mois auparavant. Il y a quelques années, un copain
bordelais que je n’avais pas revu depuis les années cinquante, est venu
s’installer à Plouhinec. Je lui ai demandé comment il me voyait à cette
époque.(J’avais une douzaine d’années). Voilà sa réponse : « Ce qui nous
étonnait, c’est que tu répétais souvent, « j’ai deux projets : je vais
devenir journaliste à l’Humanité et je vais construire une maison à la
Pointe du Mouton ... »
Le premier objectif a été abandonné assez vite avec l’évolution de ma pensée, mais le second a tenu bon.
Encore fallait-il posséder une parcelle là-haut, chose à laquelle
je n’avais pensé dans mon enfance. Le terrain me semblait être à tous,
donc aussi à moi. J’ai donc réussi à acheter à Simone Lozach un tout
petit carré (100 M2 !!) pour la modique somme de 25000 F. Attention,
c’était en anciens francs. En nouveaux, ce serait 250 NF et en euros
environ 40 euros. ! J’étais assez pauvre à cette époque...
La « mise en chantier », retardée par les difficultés d’achat,
commença à la fin des années cinquante. Ensuite, je me suis heurté à
diverses complications administratives (tout à fait normales
d’ailleurs).
Cependant, après plusieurs démarches et dialogues aux services de l’Équipement à Brest, les gens qui m’ont reçu dans les bureaux ont sans
doute décidé de laisser courir. Peut être m’ont-ils trouvé un peu fou,
ou ne croyaient-ils pas à la réalisation du projet...
Pourtant, sur le terrain, les choses avançaient, laborieusement. A
chaque vacances scolaires, le niveau montait, malgré les quolibets de
certains, les réticences de la famille, les difficultés de transport des
matériaux.
Après deux années de transport du sable, du ciment et de l’eau à
la brouette, une véritable « révolution technique » intervint ! C’est
ici que je dois rendre un hommage appuyé à ma Vespa que les témoins de
l’époque ont vu si souvent escalader la colline, chargée au maximum.
Enfin, à mi-chemin des travaux, un agriculteur de Kerstrat, Lom a
Mevel, dont je remercie la mémoire infiniment, a accepté (ce qui
n’était pas très facile car le chemin du bas «le n’hen dour » était
difficilement praticable), de transporter un chargement de parpaings,
puis un chargement de sable.
Là, les choses ont avancé beaucoup plus vite, avec enthousiasme.
En 1963, le plus gros était fait et nous avons posé le toit à quatre :
mon père, Chan Marie Deuffic et Jackez Moguen.
En 1964, je n’ai pu continuer les travaux intérieurs, éloigné de
France par le service militaire. (J’étais professeur en Algérie, à
Sétif). Je suis reconnaissant à mon père, qui venait de prendre sa
retraite d’avoir terminé l’intérieur : le sol, le crépi et le plancher.
En 1966, à mon retour d’Algérie, nous avons pu nous y installer,
pour les vacances d’été. Je venais d’être papa d’une petite fille et la
vie était belle...
Depuis, que j'ai écrit ce chapitre en 2014, cette petite maison est devenue célèbre. Le chemin de randonnée GR34 de plus en plus fréquenté y est également pour quelque chose. Les gens de passage y laissent des petites notes sur un livre d'or, des dessins, des objets ... La "décoration" intérieur évolue au fil du temps et des saisons, mais il y a également des incivilités, et des petites dégradations de temps en temps.
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