Il y a des découvertes évidentes, des rencontres artistiques coup de poing et coup de cœur, des émerveillements, des certitudes.
J'ai écrit à Aurélien Lepage que pénétrer dans une de ses toiles ou de ses broderies était pour moi comme entrer dans une église... Le même sentiment de paix immédiat, de mystère, de recueillement, d'apaisement, d'harmonie, d'ailleurs bienfaisant ....
J'ai choisi de vous présenter aujourd'hui des œuvres très variées, des détails de ses toiles ou de ses broderies, en mêlant volontairement les deux, des photos d'expositions aussi. J'ai voulu vous entrainer avec moi dans ce travail fascinant et émouvant .
"Je passe des heures à broder une grande tige végétale, point par point, ou des heures à peindre des petites traces qui formeront une planète ou une voie lactée : je me fonds alors dans le rythme des plantes qui poussent, des étoiles qui naissent, dans le flux vivant et fragile de la nature" a écrit Aurélien.
Cette lenteur, cette "connexion", je la ressens dans chacune de ses œuvres. Ce qui me frappe avec cet artiste c'est son grand savoir, sa capacité à écrire et à parler de façon très savante de son travail et sa simplicité totale, sa vérité. Cette dualité est omniprésente dans ses créations, dissimulation et révélation, visible et invisible, voix audibles et secrètes, voies difficiles à trouver, limpides et labyrinthiques à la fois ...
Aurélien Lepage est LA où il doit être, en parfaite adéquation avec le monde qu'il a choisi de nous présenter, de créer pour lui, pour nous...
Prenez la peine de lire ce long texte d'Aurélien écrit pour une exposition :
« La nature aime à se cacher.»
De prime abord, cette phrase énigmatique
d’Héraclite semble bien peu s’appliquer à ma peinture, tant le végétal y
est présent, vivace. Mais à y regarder de plus près, ces feuillages et
ces ramures de peinture bruissent de murmures secrets, d’images
dissimulées. D’autres feuillages apparaissent sous feuillages, d’autres peintures sous la peinture. Dans la langue
originale du fragment d’Héraclite, le mot « nature » est désigné par le
terme phusis : c’est la nature dans ce qu’elle a de jaillissant, de
contradictoire, de mystérieux, apparaissant et s’enfouissant tour à
tour.
J’aime l’idée qu’un tableau ne livre pas son sens dès les premiers instants où il est vu, ou plus précisément qu’il puisse offrir différents niveaux de profondeur. Comme dans un jardin, comme dans un tapis, les formes végétales dissimulent autant qu’elles révèlent, invitant à se perdre parmi les entrelacs et les ombres, afin, peut-être, de laisser peu à peu affleurer les voix inaudibles, celles de la nature, des saisons, du cosmos – autant de voix que nous ne prenons plus assez le temps d’écouter.
Dans ma peinture, le végétal prend volontiers un aspect ornemental, voire décoratif, à la manière d’un papier peint ou d’une nappe brodée. Je sais que la plupart des artistes ont en horreur ce terme, « décoratif », car il désigne ce qui n’a d’autre intérêt que sa propre joliesse, d’autre visée que l’habillage superficiel d’une surface. Cela peut surprendre, mais j’aime que ma peinture puisse donner cette impression, parfois, aux yeux de regardeurs peu attentifs.
J’y vois une forme ambivalente de
discrétion, une manière espiègle de dire des choses profondes sans en
avoir l’air, sans forcer le regard. Il ne s’agit pas de faire du bruit,
de s’avancer dans le monde de manière tapageuse, mais, dans le silence
de l’écoute et de l’observation, d’en épouser au mieux les contours, les
rythmes, les mystères. Regarder encore et encore pour voir, sous le
masque inoffensif des choses, les trésors cachés et les abîmes infinis.
Pour reprendre l’exemple du tapis persan,
il serait très facile de n’y voir qu’un fouillis de lignes et de motifs
purement formels et répétitifs. Décoratif, en somme. Mais si l’on se
plonge davantage dans les jeux de symétrie et d’entrelacements des
formes, alors c’est la magnificence d’un jardin d’Eden qui apparaîtra, une version réduite et concentrée du paradis et du cosmos.
L’infiniment petit contient l’infiniment grand, le dévoile et le
déploie.
Tout tourne et se retourne sur lui-même, comme les astres et les atomes, et l’homme est part intégrante de cette danse cosmique.
Une similaire ambiguïté habite ma peinture, chaque élément y étant tout à la fois polymorphe et polysémique. Ce qui apparaît comme une fleur se métamorphose soudain en étoile, un fruit devient une planète, une constellation se mue en toile d’araignée. Tout est dans tout, s’enversant sans cesse dans un mouvement où le terrestre et le céleste ne font qu’un.
De même, je choisis volontairement de ménager un certain flou au niveau de la symbolique des éléments que je mets en scène, afin qu’ils conservent toute leur vivacité, toute leur puissance d’évocation : un buisson pourra être simple buisson ou buisson ardent, un arbre pourra être arbre de vie, arbre de la connaissance ou arbre votif. Ou tout à la fois.
Le végétal a ceci d’intéressant qu’il est universel, et permet de croiser les pistes, les cultures, les histoires, de les multiplier comme d’infinis reflets de miroir sur le chemin de la connaissance, suscitant d’infinis et organiques questionnements.
Les matières et les rythmes dont j’use
pour élaborer ma peinture empruntent de la même façon le chemin bigarré
et énigmatique de la phrase d’Héraclite. Mes tableaux s’apparentent
tantôt à des tapis, des nappes, des mouchoirs, des tapisseries, des
miniatures ou des céramiques. Je peins très lentement, chaque peinture nécessitant des semaines, des mois de réalisation. Je
passe des heures à broder une grande tige végétale, point par point, ou
des heures à peindre des petites traces qui formeront une planète ou une
voie lactée : je me fonds alors dans le rythme des plantes qui
poussent, des étoiles qui naissent, dans le flux vivant et fragile de la
nature.
Lorsque je peins, et lorsque je peins du végétal en particulier, c’est toujours ce poème de Rûmî qui me revient :
« Tout est un, la vague et la perle, la mer et la pierre
Rien de ce qui existe en ce monde n’est en dehors de toi
Cherche bien en toi-même ce que tu veux être puisque tu es tout
L’histoire entière du monde sommeille en chacun de nous. »
LE SITE D'AURELIEN LEPAGE
AURELIEN LEPAGE ET LES GRIGRIS DE SOPHIE
UN TEXTE D'AURELIEN SUR LES ARTS FOREZTIER
UN PREMIER TEXTE SUR LES ARTS FOREZTIER
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Né en 1982, Aurélien Lepage vit et travaille à Meistratzheim, dans le Bas-Rhin. Il est titulaire d’une Maîtrise en arts plastiques intitulée « Broder, tresser, labyrinther : pratique de la lenteur » et d’un Master recherche en arts plastiques intitulé « Éphémérides : bruissements de geste, bruissements de peinture ».
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