C'est à Marie que je dois cette magnifique lecture
" Odile a disparu, laissant derrière elle son mari Ferment et leurs trois
enfants. Privés de la présence maternelle, Béguin, Chiffon et la jeune
Zizi Cabane doivent trouver un nouvel équilibre. Mais rien ne se passe
comme prévu dans la maison. Une source apparaît dans le sous-sol, et
veut absolument rejoindre le ruisseau du jardin. Un drôle de vent rôde.
Et tandis que tante Jeanne essaie de ramener un peu de raison là dedans,
Marcel Tremble, faux grand-père surgi de nulle part, accompagne avec
tendresse la folie de ces êtres abandonnés. Que vont devenir les
chagrins ? Sur quelles pentes vont-ils désormais rouler ?
Après le voyage arctique de De pierre et d’os,
Bérengère Cournut réussit une nouvelle fois l’invraisemblable : mêler
la poésie à la prose pour dire en souriant la douleur, associer le
quotidien aux rêves pour réinventer avec force un chemin de vie."
QUELQUES EXTRAITS ......
Pour moi, qui suis arrivée cinq ans plus tard, on avait retenu la leçon : pas de prénom auquel on ferait semblant de croire. Mon père et ma mère m'ont ramenée à la maison en m'appelant «bébé», puis ils ont attendu que ça vienne. En vérité, ça n'a pas tardé : au premier bain dans le lavabo de faïence, à hauteur d'yeux de Chiffon, mon frère a demandé : «Pourquoi il est cassé, le zizi de ma sœur?» Maman est entrée en fureur. «Mais enfin, il n'est pas cassé! Qu'est-ce que tu t'imagines, espèce d'enfant aveugle ? Mon frère a dit : «Si, regarde, il est cassé... Il n'y a rien à tirer.. Mon père a ri, Odile a pris le temps d'expliquer : «Alors, les garçons. Vous avez, c'est vrai, un zizi qui peut viser, se dresser et s’affaisser dans un frisson... Pour vous flatter, appelons-le zizi totem. Mais les filles, voyez-vous, ont un zizi, elles aussi. Un zizi plus mystérieux... caché là, dans un pli, et que vous comprendrez un jour autrement qu'avec vos yeux. D'accord ?» Béguin ricanait un peu, mais Chiffon a dit d'un ton blasé : «Un zizi cabane, quoi... » Personne n'aurait trouvé mieux : ni plus vrai, ni plus joyeux. C'est ainsi que je suis devenue la première, la seule, la vraie : Zizi Cabane.
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J'ai été la femme de Ferment
et la mère de trois enfants
Je m'appelais Odile, j'étais jeune
j'aimais rire et pleurer en même temps
J'avais parfois peur de la vie
et beaucoup, beaucoup d'envies
Puis il y a eu ce jour où je suis partie
Ce n'était pas volontaire
c'est venu comme un truc qui sort de terre
Ça avait la tête, la silhouette d'un poisson
ainsi que ses couleurs, ses reflets
ça filait dans le ruisseau du jardin -
parfois par bancs entiers
Je les voyais chaque matin -
je jure que je les voyais!
et qu'ils m'appelaient
un à un
Alors une nuit où il faisait chaud et clair
j'ai mis les pieds dans le ruisseau
J'ai descendu le cours d'eau
jusqu'à l'endroit où ils allaient
- c'était loin-
J'ai parcouru
beaucoup de terres et d'océans
mais ce devait être à la vitesse de la lumière
car au matin, j'étais de nouveau
près de Ferment et des enfants -
bien plus enveloppante qu'avant
Ils ne me voyaient plus
ou plutôt pas encore
car j'étais tressée d'or
Mais j'étais là
sous leur peau, sous leurs doigts
sous chacun de leurs pas -
et dans leur âme je crois
C'est ainsi qu'a commencé
le plus beau, le plus long des voyages
dont le mouvement tient
dans un nom
dans une mémoire...
le nom et la mémoire de
Zizi Cabane
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On vit autant de ses manques que de ses capacités.
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« Tata ? » Elle sursaute. « Mais qu’est ce que tu fiches, à pleurer dans la rocaille ?
- Oh, oh ! Je ne pleure pas, esquive-t-elle en souriant. J’arrose simplement les pensées que j’ai mises en terre récemment … »
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À cet égard, je trouve ça curieux, l'amour d'une mère. C'est quelque
chose qui vous contient tout entier, durant neuf mois - puis qui vous
lâche. Pas le choix - ni pour elle, ni pour vous. Ensuite, c'est du soin
constant, puis du souci. De la joie aussi - enfin, j'imagine... Puis un
jour, plus rien. Je veux dire : l'un des deux corps disparaît, le
regard par lequel on était sans doute attaché l'une à l'autre, la mère
et l'enfant, n'a plus lieu d'être, plus rien à quoi s'accrocher. C'est
l'espace qui s'ouvre à la place - tout entier. C'est une libération
peut-être.
Je n'en sais rien en fait.
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J'avais une femme, elle a disparu, sans laisser de traces. Ou plutôt : sans laisser de traces de sa mort, parce que, des traces de sa vie, les nôtres en sont remplies. Ce sont les révoltes de Béguin, les obsessions de Chiffon, les rires et es chagrins de Zizi... Leur mère est partie tout en restant en eux ; et moi je ne peux plus être un éternel tourment.
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J'ai des enfants
- je me souviens -
j'ai un mari
- je me souviens -
tous ont un jour ou l'autre
dormi contre mon sein
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Mais ce soir, oui, je reflète la lune pour eux, comme je jouais
autrefois du hochet devant leurs yeux. Comment me souvenir
des soins que je leur prodiguais alors ? Lorsque j'étais leur mère,
qu'ils étaient mes boutons d'or ?
J'ai aimé, je crois, porter ces petits êtres, avoir dans ma main
l'entièreté de leurs têtes - et même les sentir bouger en moi avant de les connaitre
Ferment, j'ai aussi aimé les concevoir dans le secret de notre
chambre. J'ai aimé te voir en père ébahi, tendre et attentif lorsque
nous étions tous à bord du même lit
Chaque enfant a été l'occasion d'un nouveau voyage dans nos
identités mêlées. Tu étais si inquiet lorsque je portais Zizi.
Moi, j'étais alors si lourde et si légère, abandonnée au désordre annoncé de la fratrie ...
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Le souvenir de quelqu'un flotte
quelques autres essaient de s'en saisir
mais c'est le vide, l'absence qui se creuse
à chacun de leurs pas
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En ajoutant du bleu ou du vert à des traces de graisse et de cambouis, il fait apparaître des rivières, des rivages, des montagnes. Les grosses taches deviennent des iles volcaniques: je vois aussi des plages et des cavernes. Comment fait-il de si belles choses à partir de ramasse-poussière et de chiffons de vidange ? Et surtout pourquoi ne nous les a-t-il jamais montrés ? En reposant soigneusement les chiffons l'un sur l'autre, je m'aperçois que celui du haut n'est pas tout à fait sec. Quand a-t-il fait cela ? Et surtout, pourquoi en cachette de moi ?
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L’Auteur
Bérengère Cournut est née en 1979. Ses premiers livres exploraient essentiellement des territoires oniriques, où l'eau se mêle à la terre (L'Écorcobaliseur, Attila, 2008), où la plaine fabrique des otaries et des renards (Nanoushkaïa, L'Oie de Cravan, 2009), où la glace se pique à la chaleur du désert (Wendy Ratherfight, L'Oie de Cravan, 2013). Depuis, elle poursuit sa recherche d'une vision alternative du monde. En 2017, paraît Née contente à Oraibi (Le Tripode), roman d'immersion sur les plateaux arides d'Arizona, au sein du peuple hopi. En 2019, paraît De pierre et d'os (Le Tripode), roman empreint d’écologie et de spiritualité qui nous plonge dans le destin solaire d’une jeune femme eskimo. C’est ce dernier roman qui révèle son œuvre au grand public (200 000 lecteurs à ce jour). Elle est également l’autrice de formes romanesques plus atypiques avec la nouvelle épistolaire Par-delà nos corps (Le Tripode, 2019), le long chant d’Élise sur les chemins (Le Tripode, 2021) et la fantaisie Vövöl (Le Tripode, 2023).
Ce roman emprunte au conte, à la fable, aux mythes, aux rêves, à la poésie. Multiforme et pourtant homogène, parce qu’il est soutenu tout du long par une écriture sans faille et une imagerie qui plongent ses racines dans la terre et dans les rêves. Cela parle de deuil, de souffrance, de tragédie. Mais avec une légèreté et une folie qui enchantent.
Jean Claude Vantroyen – Le Soir
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