Lorsque nous avons rencontré Gérald Finot il nous a parlé avec fierté des textes écrits sur lui par Franz Bartelt.
J'ai contacté celui ci par téléphone et il a eu la gentillesse de me confier ces deux textes écrits en 2000 dans son ouvrage " Aux pays d’André Dhôtel " ( Édition Traverses).
L'écrivain a rencontré Gérald il y a une vingtaine d'années, alors qu'il était journaliste, et suit depuis régulièrement son travail .
GERALD FINOT, JARDINIER GOTHIQUE
Après avoir vécu tout ce qu’il est possible de vivre au cours d’une carrière de chanteur ambulant qui le conduisit bien au-delà des Valparaiso auvergnats, après avoir touché l’Espagne du bout sa guitare, et l’Italie par une singulière inclinaison pour les bottes de femmes, Gérald Finot cultive sa parcelle à Quatre-Champ, perpendiculairement à une route qui monte vers un ciel où Camille Renault veille, d’assez loin maintenant, sur ces cantons du sud ardennais dont les vallonnements constituent une extension naturelle du Dhôtelland. Il édifie là, sous les ricanements perfides des béotiens, une sorte de chaos superbe et proliférant, produit d’une imagination athlétique et de cette énergie du voyageur condamné à une immobilité dont il voudrait encore faire un voyage. À choisir, en homme qui a toujours quelque chose à célébrer, il aurait sans doute préféré entreprendre la construction d’une cathédrale. Mais la place lui manquait et le terrain était en mauvaise pente. Sans abdiquer de ses ambitions, les repoussant seulement vers un avenir plus fortuné, il s’est résigné à faire jaillir de terre des monuments d’une ampleur maîtrisée, mais d’une extravagance grandiose. Fragments de châteaux en dur, alignements de bidons d’assouplissant en attelage sur des manches à balais, stèles commémoratives d’amnésies historiques, totems aux complexités freudiennes, gargouilles à intermittences délurées, machines à débucoliser le paysage, buissonnements de vélos disloqués, perches casquées, allusions vulvaires, reconversions de boîtes de conserves et de jouets en matière plastique, expansion de queue de cochon, porte oriflamme en matériau composite, élaboration d’un planétarium à ciel ouvert, rien n’échappe à ce forçat qui invente sa liberté en bâtissant son propre bagne. Par ailleurs, et plus secrètement, ce conducteur de travaux privés explore les éventualités de l’art sacré dans le milieu de la récupération d’objets, tout en manifestant une persévérance héroïque dans la mise en œuvre de gidouilles. Au cœur de ce panorama où ni le mot ni la chose ne disent rien à personne, le fait mérite d’être mentionné.
GERALD FINOT
Ailleurs encore, dans un autre jardin— mais dans la région, c’est la terre qui manque le moins —, un homme tout droit sorti d’un roman d’André Dhôtel construit un monde où il est sûr de trouver sa place. C’est un musicien qui a fait la route pendant des années et qui de retour au pays s’est converti à la sculpture. Il est animé d’une inextinguible soif de paroles, comme s’il craignait quelque chose du silence.
Il se présente comme « un artiste de quarante-six ans », parle sans arrêt, déclame, réclame, délire, disserte avec des moulinets de bras qui fauchent loin autour de lui et risquent d’éborgner qui se trouve à sa portée :
« Le monde a besoin qu’on l’agresse. L’agression, c’est bon pour tout le monde. C’est technique, au fond. J’agresse pour secourir. »
Cependant, il n’aime plus personne, pour ainsi dire. L’humanité le déçoit. Il voudrait que tout le monde vive comme lui, dans le mépris des choses matérielles. Dans cette quiétude de la réflexion créatrice.
« En ce moment, dit-il en montrant une pièce de bois, je fais du gros. Je travaille le gros. La grosse pièce ne se traite pas de la même manière que la petite pièce. Le gros c’est le gros. En ce moment, je travaille le gros. J’attaque le tronc. Le tronc c’est du gros. »
Des jeunes ont visité son atelier. Remarquant un amas caillasseux sans forme identifiable, l’un d’eux a lancé :
« Ça, m’sieur, je pourrais en faire autant.
– La différence entre nous, lui rétorqua l’artiste qui connaît ses classiques, c’est que toi tu pourrais en faire autant, tandis que moi je le fais. »
Il se défend d’être obsédé par les chaussures de femme. Toutefois, il les récupère et, coulant du béton à l’intérieur, les utilise comme moule. Il fabrique des quantités de chaussures en béton, qu’il entasse dans tous les coins de son jardin. Les place sur les poteaux peints en rouge, sur les branches de ce qui veut ressembler peut-être à des totems. On en trouve dans des boîtes, dans des caisses, dans des taupinières, dans des constructions, dans l’épaisseur des murs, sur le bord des fenêtres.
Remarquant cette curieuse prolifération de chaussures, le marcheur ne doute plus qu’il se trouve sur la bonne route.
Aucun statisticien ne s’est jamais attelé à la compilation des signaux déposés par des originaux et dont la répartition sur le territoire planifie toutes sortes de hasards, de coïncidences, d’étonnements qui, à force, sans qu’on y comprenne rien, ménage des passages entre la réalité et l’imaginaire, la géographie et le roman, établissant des réseaux d’une logique aléatoire et poétique, plus infaillibles que les cartes d’état-major, et qui complètent d’un village à l’autre, et dans les trous du décor, les messages, plus officiels, plus collectifs, que représentent les églises, les chapelles, les calvaires et les fontaines miraculeuses.
Là où il n’y a rien à voir, tout est à inventer.
Et cette photo, hommage à Chomo, pour Laurent bien sûr !
(Ces photos ne m'appartiennent pas et ont été réalisées par Matt Bosma, un visiteur de passage conquis par l'homme et le lieu, en 2006 )
****LE SITE DE MATT BOSMA
(cliquer sur les liens)
1 commentaire:
magnifique.. l'antartiste, les sculptures..les jardins.. dès ma rentrée ..j'ai visité plusieurs fois ton blog.... pas encore terminé..toujours dérangé..:))
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