Les Grigris de Sophie ce sont bien sûr des broches, des colliers et des sacs … mais c’est aussi un blog !

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Mais c’est aussi un blog ! Un blog dans lequel je parle de CEUX et de CE que j’aime …
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samedi 27 juillet 2013

LA DEMEURE DU CHAOS VUE PAR APOLLINE LEPETIT


Pour accompagner les photos d’Apolline aujourd'hui ce texte de Céline Moine, historienne de l’art ...





Le Monstre et la Liberté

" La Demeure du Chaos ne constitue pas un circuit fermé mais ouvert sur le monde, le passé, le présent et le futur. On pourrait parler à son sujet de trou noir positif car son champ d’exploration est d’une immense amplitude, et dans le désordre apparent, vise à la clarté.
L’insatiable
Thierry Ehrmann est un personnage boulimique et protéiforme. Peu étonnant qu’il ait engendré une œuvre vorace. La Demeure du Chaos, dont il écrit l’acte conceptuel en 1999, est pour qui y pénètre, un monstre dévorant et insatiable. Son festin gargantuesque est permanent, alimenté par des images obsédantes tirées de l’actualité, par une nébuleuse de signes, chiffres, traces, symboles alchimiques, des œuvres hybrides calcinées, taggées, éventrées, des références au passé, au présent, au futur, des hommages à l’art, la science, la SF, des citations ironiques, satiriques, inspirées… un désordre fou pour un espace qui ne cesse de déborder ses propres limites.
Une nourriture difficile à avaler, pour reprendre une expression courante, entre ici dans un lent processus digestif, notamment les images issues de l’actualité. Les artistes travaillant sur place reprennent, avec la lenteur nécessaire à l’acte de peindre, des photographies sélectionnées par thierry Ehrmann sur Internet. Ces images de la violence du monde, habituellement aussi vite oubliées qu’elles sont consommées, prennent une dimension plus tangible et durable sur les murs de la Demeure du Chaos. Pour thierry Ehrmann, ces scènes sur-dimensionnées et dépouillées de leurs légendes s’imposent avec d’autant plus de brutalité et de vérité.
Il est question de violence, d’absurdité, de pouvoir, de justice et d’injustice, de police et d’anarchie, de droit et de non-droit, de politique, de folie, de technologie… une interrogation perpétuelle qui fait vaciller les repères, donne le tournis… Accusée de se repaître du scandale, la Demeure du Chaos se nourrit plutôt du débat public, des réactions face à ce qui doit nous scandaliser. A ce titre, le combat judiciaire engagé avec la municipalité de Saint-Romain-au-Mont-d’Or participe intégralement à la logique de l’œuvre, en reposant la question soulevée par Marcel Duchamp il y a près d’un siècle : comment définir ce qui est ou n’est pas de l’art ?
En réponse, la vague de pétitions signées pour soutenir la Demeure du Chaos contre la censure et l’obscurantisme (les termes sont récurrents), est une véritable performance (au sens propre et artistique du terme). En alimentant le débat, les signataires se trouvent intégrés à l’œuvre, de même que les détracteurs… vous étiez prévenus, la Demeure du Chaos est affamée !
Pour défendre la Demeure du Chaos contre une menace de destruction, les signataires de la pétition ravivent la mémoire des scandales et procès suscités dans le passé par des œuvres d’avant-garde. Ils invoquent fréquemment les polémiques violentes déclenchées par le Palais idéal du Facteur Cheval, les Colonnes de Buren dans la cour d’honneur du Palais Royal de Paris, “l’inutile et monstrueuse Tour Eiffel” telle qu’on la qualifiait en 1887, alors qu’elle était encore en travaux. Les pétitions regorgent de références architecturales – et souvent celle du Centre Pompidou, pour lequel les architectes Renzo Piano et Richard Rogers essuyèrent pas moins de sept procès pendant la construction – mais aussi littéraires, musicales, plastiques, scientifiques, populaires. On en appelle à Jérôme Boch, Giger, Mozart, Galilée, André Gide, Antonio Gaudi, Gustave Courbet, Francis Picabia, Pablo Picasso, Jean Dubuffet, Léonard de Vinci, Edward Munch ou le Douanier Rousseau. Tous créèrent des secousses dans l’histoire de l’art et de la pensée. Chacun, à un moment, fut montré du doigt.
Si l’on se réfère à l’étymologie latine généralement convoquée, celui qui est montré du doigt est bien un monstre (monstro, monstrare : montrer). Hors les normes, il est accueilli avec méfiance et hostilité, voire mis à l’index. Au XVIème siècle, la mise à l’index frappait d’interdiction les livres jugés hérétiques, d’obscénité et de sorcellerie. Aujourd’hui, des œuvres sont encore frappées d’interdiction, parfois pour des raisons qui laissent perplexe. Nous sommes à l’été 2008 et une œuvre de l’artiste Martin Kippenberger représentant une grenouille crucifiée, chope de bière et œuf à la main, a fait scandale au musée de Bolzano, au nord de l’Italie. L’humour de cette œuvre n’a pas déridé le président de la région du Haut-Adige ni l’évêque de Bolzano qui jugèrent cet Autoportrait de l’artiste, en état de crise profonde, blasphématoire, tentant d’obtenir son retrait pur et simple de l’exposition.
L’histoire de l’art fourmille d’exemples de censure de la sorte. L’hostilité est d’autant plus vive si l’artiste est irrévérencieux ou s’il travaille avec des sujets ou des matériaux impurs. Duchamp révolutionnait pourtant le statut de l’art et du regardeur armé d’une pissotière. Manzoni bousculait les repères du collectionneur en proposant ses fèces comme reliques, conservées au naturel dans des “Boites de merde” de 30 grammes l’unité, vendues selon le cours de l’or. Les gestes iconoclastes de Duchamp ou Manzoni, de Pinoncelli ou Ben, reprennent vie au cœur de la Demeure du Chaos. Leurs réflexions sur l’art et la vie, l’artiste, l’institution culturelle, le marché de l’art s’y trouvent réactivées. Et ce, pas uniquement par le biais des œuvres et des citations ! Outre les références artistiques et intellectuelles, la Demeure du Chaos condense concrètement toutes ces problématiques, suinte de ces questionnements par les implications de sa triple identité : rappelons qu’elle est tout à la fois une habitation privée, le siège de Groupe Serveur et d’Artprice ainsi que le lieu de la création.
La Demeure du Chaos est le monstre tricéphale ayant dévoré l’identité personnelle, professionnelle et créatrice du lieu. Le mariage de l’œuvre et de la société Artprice peut paraître contre nature :  aucune œuvre n’est à vendre à la Demeure du Chaos  qui se veut “un musée gratuit à ciel ouvert”. La Demeure échappe à la marchandisation de l’art et abrite paradoxalement la société leader mondial dans l’information sur le marché de l’art. Ne pointerait-elle pas les deux faces d’une même médaille artistique: l’expression libre et gratuite d’un côté, la logique du marché, cotes et indices compris de l’autre ?
Les bureaux d’Artprice et Groupe Serveur sont déconstruits au même titre que la partie privée de la Demeure du Chaos. Les murs, intérieurs et extérieurs, sols, plafonds, recoins, fenêtres, miroirs, tables, chaises, etc… sont investis. L’œuvre avale tout, ne fait pas de différence entre l’art et la vie, vibre aux rythmes des performances, dont celles au cours desquelles thierry Ehrmann entaille sa peau comme il éventre sa maison. Son appétit féroce est une faim d’expériences, de rénovation et d’intensification de la perception.
L’esprit Dada
L’expérience d’un art vivant était aussi le pouls de dada dont les références hantent les murs de la Demeure du Chaos… là encore, il ne s’agit pas simplement de citations en forme d’hommage, l’esprit dada plane indéniablement sur l’œuvre. Tout commence par l’enceinte, sur le chaînage marquant le passage brutal entre l’univers doré des Saromagnots et celui, noirci et éventré, de la Demeure du Chaos. D’emblée, l’identité multiple de la Demeure du Chaos est annoncée à même les murs. D’abord par une œuvre de Ben, indiquant “L’antre de la Salamandre”, suivie juste en dessous, d’un 999 taggé, puis d’un panneau annonçant un avis de destruction de “la Demeure du Chaos”. Sous cette triple identité, on peut aussi lire l’adresse officielle, “Impasse de la Croix”… Au tournant, en longeant toujours l’enceinte qui mène vers l’entrée principale, dada s’impose d’emblée par des inscriptions en lettres majuscules : “ART DEGENERE” et “DADA EST GRAND ET KURT SCHWITTERS EST NOTRE PROPHETE”. Plus loin, les références à dada résonnent comme des appels au rassemblement : “tout est dada, dada est chaos”, “dada globe”, “dada messe”. Après les mots, ce sont des visages peints à même les murs qui prennent le relais. La Demeure du Chaos est une immense galerie de portraits où se détachent quelques figures tutélaires de dada et de l’art dit dégénéré : Otto Dix, Max Ernst, Kurt Schwitters, Tristan Tzara.
Tzara, un artiste révolté contre la bêtise humaine, rédigea le Manifeste dada en 1918, au sortir de la première guerre mondiale, dont quelques extraits trouvent une résonance particulière avec l’œuvre de thierry Ehrmann. On lit par exemple sous la plume de Tzara : “comment veut-on ordonner le chaos qui constitue cette infinie informe variation : l’homme ?… Pas de pitié. Il nous reste après le carnage l’espoir d’une humanité purifiée”. Dans sa logique de table rase, son besoin d’indépendance et de poésie, l’auteur du Manifeste dada en appelle à déchirer “vent furieux, le linge des nuages et des prières” et à préparer “le grand spectacle du désastre, l’incendie, la décomposition”.
Dada et la Demeure du Chaos naissent d’une même rage, d’une volonté de faire table rase, de “noyer l’apparat bourgeois dans un état de guerre permanent”, de faire régner le désordre pour briser les repères conventionnels. Près d’un siècle après la naissance officiel de Dada en 1916, au cabaret Voltaire de Zurich, la Demeure du Chaos s’inscrit certes dans un autre contexte, mais toujours dans le rejet de la guerre, de l’horreur et du prêt à penser. Après tout, l’esprit dada naquit d’une révolte contre la première guerre mondiale et la Demeure du Chaos fut re-baptisée après le choc du 11-Septembre.
Dada ou la Demeure du Chaos, c’est le règne du désordre et de l’incompréhension, de la provocation et de l’énergie créatrice. A la question du “Pourquoi ?” la réponse est la même : révolutionner le regard et les modes de pensées, sortir le spectateur de ses acquis, créer contre l’absurdité du monde, retrouver le terrain des émotions et de l’ivresse. A la question du “Comment ?” les réponses se ressemblent encore : dissoudre les limites de l’art, abolir les genres, briser les frontières artistiques, créer un ordre nouveau dans l’incohérence apparente.
La liberté si chère à dada se révèle par exemple dans l’architecture décalée du Merzbau d’Hanovre de Kurt Schwitters. Elle était un Work in progress (comme la Demeure du Chaos) sans cesse alimenté par toutes sortes de matériaux triviaux, objets de rebut, petits restes insignifiants, déchets ramassés dans la rue qui déconstruisirent l’espace architectural pour construire une œuvre totale. Lancée avec une passion maniaque dans ses Merzbilder, Schwitters s’est fondu dans son projet, est devenu Merz comme on devient dada. Ce n’était plus lui qui habitait l’œuvre mais l’œuvre qui l’habitait. En 1937, il eut l’honneur d’être exposé en contre-exemple de l’art officiel du IIIème Reich, avec d’autres artistes “dégénérés”. L’art moderne était considéré comme une production bâtarde, un art de fous, impur par essence.
Qu’on les taxent de “fous”, les artistes dada accueillent, comme thierry Ehrmann, l’injure avec des hourras, se faisant une gloire de personnifier l’insensé. L’artiste se veut organe de l’inouï, il menace l’ordre des choses quitte à provoquer chez le spectateur une réaction de défense, pouvant se manifester par l’insulte, le rire ou l’hystérie… Qu’un détracteur de la Demeure du Chaos parle de “la demeure d’un illuminé”, son auteur, thierry Ehrmann, accueille le qualificatif avec jubilation et le revendique.
Dans un compte rendu d’une soirée dada zurichoise du 19 avril 1919, un journaliste de la Tribune de Genève écrivait “nous estimons, quant à nous, que la bande de désaxés et de pervertis qui se livre à pareille singerie ne méritait même pas une mention. Si nous publions le compte rendu ci-dessus, c’est pour montrer jusqu’où peut aller l’aberration des ultramodernes. C’est du bolchevisme artistique.”
L’ultramoderne thierry Ehrmann prend la liberté d’être au bord de la folie, orchestre une Borderline Biennial en 2007, loue la beauté convulsive et l’amour fou appelés de ses vœux par André Breton. Alors que je tape ces mots, au cœur de la Demeure du Chaos, je me trouve au centre d’une étrange triangulaire : une vanité de l’artiste Goin, peinture d’un crâne grand 10 fois comme ma tête, me fait face. Sur le mur de droite émerge le portrait d’André Breton, dont on connaît l’intérêt pour les maladies mentales, sur celui de gauche le visage de Louise Bourgeois plus prompte à s’interroger sur les maladies nerveuses. Heureusement pour moi, selon elle, l’art est une garantie de santé mentale..."

























LE SITE DE LA DEMEURE DU CHAOS 

LE BLOG DE THIERRY EHRMANN

LES PHOTOS D'APOLLINE

(cliquer sur les liens) 

 17 Rue de la République,
 69270 Saint-Romain-au-Mont-d'Or

samedi14:30 – 18:30
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