"Au
98 rue de la Neuvillette, une grande baie vitrée, en haut de
laquelle on peut lire : Ateliers Recto-Verso. Marie-Christine
Bourven. Les habitants du quartier, les lecteurs du Cafouin, ont-ils
déjà remarqué celle qui, derrière cette vitre, s’active dans
son atelier et sur sa presse ? Elle a quitté son ancien atelier
de la rue Camille-Lenoir, pour s’installer, en avril 2012, dans
cette grande maison qui fait l’angle de la rue Danton.
Marie-Christine Bourven est graveur.
Comment vous est venue cette passion
de la gravure ?
- Je suis née à Paris. Après mon
bac, j’ai travaillé chez des antiquaires, dans le quartier du
Marais. Ma mère était brocanteuse. Elle allait chaque jour à
Drouot et j’adorais m’y rendre avec elle. Dans ce métier, on a
un rapport aux objets et ça a nourri mon imaginaire.
Je me suis inscrite à la Fac en
histoire de l’art. J’aurais pu devenir restauratrice, c’est un
métier qui m’intéressait aussi. Dans la boutique de ma mère et
dans le quartier, on côtoyait quantité de gens : Des
écrivains, des artistes d’avant-garde. Je dessinais déjà un peu,
d’une manière très expressionniste, très proche de l’art brut.
Je me souviens qu’il y avait, rue Quincampoix, une galerie d’art,
« L’Œil de Bœuf », qui me prenait mes dessins et les
vendait.
Mais la gravure dans tout ça ?
- On est en 1977, Jacques Chirac venait
d’entrer à la mairie de Paris et d’ouvrir les « ADAC »
(Ateliers d’Action Culturelle) de la Ville de Paris. J’avais une
amie américaine, Barbara Newman, qui était la compagne du peintre
Zwy Mihlstein (artiste français d’origine slave) qui avait ouvert
un atelier autour des arts du livre. Avec lui, j’ai appris toutes
les techniques de gravure, d’eau forte, de taille douce sur zinc.
J’ai découvert la gravure expressionniste. Ce qui lui importait,
c’était, plus que la technique, la valeur expressive. J’ai fait
ensuite d’autres ateliers. Dans l’un d’entre eux, celui d’une
aristocrate, Françoise de Dalmas, je me suis sentie très en phase.
Dans son atelier, tout le monde se tutoyait, mais elle avait un
chien… qu’elle vouvoyait !
Quand êtes-vous arrivée à Reims ?
- En 1991, avec ma famille, l’année
de la naissance de mon fils. Quand j’étais à Paris, les choses
étaient simples. Mais ici, à Reims, quand j’ai voulu monter des
projets, on m’a dit qu’il fallait être en association.
C’est comme cela qu’est née « Recto-verso », en
1995. J’ai animé ensuite un atelier à l’école Jamin, où le
directeur m’avait accueillie. Avec les enfants, on avait construit
un théâtre d’ombres, dessiné des silhouettes. J’ai aussi
réalisé des livres avec eux.
Parlez-nous un peu de la gravure.
Comment procédez-vous ?
- J’utilise toutes les techniques.
Eau forte, taille douce, mais aussi la taille d’épargne, la
linogravure, le bois gravé. J’utilise aussi la typographie, une
technique que m’a montrée un typographe du journal l’union,
Pierre Berger, qui m’a aidée de nombreuses fois.
Quand je me suis installée rue
Camille-Lenoir, j’ai monté des ateliers de gravure, exploré de
nouveaux supports, le PVC rigide ou souple, le rhénalon (un
plastique transparent), le linoléum, le carton avec collage de
matière.
Visite de l’atelier
Marie-Christine
utilise et enseigne aussi toutes ces techniques à des élèves,
amateurs ou professionnels, qui viennent dans son atelier. Lors de
notre visite, deux d’entre eux travaillent des plaques selon des
techniques dite « manière noire », et « au
sucre ».
Marie-Christine
Bourven effectue une démonstration de gravure selon la technique
« manière noire » : Il faut appuyer sur la plaque à
l’aide d’un « berceau », sorte de demi-cylindre fixé
sur un manche et hérissé de minuscules pointes. Le premier travail
consiste à grainer la plaque uniformément de petits trous, par un
mouvement de balancement du manche qui permet d’entamer le métal
de façon régulière et uniforme. C’est assez physique, on a vite
mal au bras…
Comme le dit joliment l’artiste –qui aime aussi écrire- dans une plaquette « Estampes et livres d’artistes » :
« La gravure est un art de la scarification ». Extrait : « Aventurier du signe et de la trace, le graveur se plaît à taillader. Il joue de ses impulsions et de ses cicatrices griffées dans la masse. Il frappe, incise, martèle. Chaque rayure est une histoire, chaque taille une blessure ».
La plaque de gravure impose son
itinéraire : « Elle prolonge le corps dans un espace
intermédiaire. Elle est la peau du graveur au sein de laquelle la
ligne s’inscrit en creux, tantôt rebelle, tantôt apprivoisée. Un
monde griffonné en miroir se délivre, étapes après étapes, en
couches successives, en fragments de vie. Un monde en clair-obscur,
en demi-teinte, en manière noire… ».
Les
plaques réalisées, il convient évidemment d’encrer ces supports,
puis d’en essuyer le surplus, d’abord avec une tarlatane, puis
ensuite directement avec la paume de la main. C’est ce qu’on
appelle le « paumage », avant de placer plaque et feuille
humidifiée sur le plateau, puis de recouvrir d’un « lange »
qui amortit la pression des cylindres, avant de tourner la roue pour
que ceux-ci viennent appuyer et imprimer le papier.
« Au moment du tirage, les
tailles regorgent d’encres colorées. Le papier, amoureux de
l’encre, est soigneusement préparé pour l’ultime rencontre.
Humide et souple, au passage de la presse, il est saisi. Il se ride
et se trame. Il se boursoufle et s’incurve. Le papier épouse au
cœur de sa subsistance, la plaque et son relief accidenté ».
Justement, parlez-nous du papier
Il doit être de grande qualité, c’est
important. Mes papiers, je les achète un peu partout. J’utilise
notamment des papiers « Japon » et « népalais ».
Des moulins à papier existent encore en France, où des artisans le
fabrique à l’ancienne. J’utilise aussi des papiers industriels,
de très bonne qualité, pur chiffon. Ce que je dessine est le plus
souvent lié à ce que je veux obtenir. La technique aussi. C’est
aussi lié au papier. Il en existe de très fins qui sont en même
temps très solides. Quand on imprime, l’encre va traverser le
papier, et on va voir aussi le dessin à l’envers.
Dans votre atelier, on voit aussi ce
que vous appelez des « livres d’artistes » ?
- C’est à Reims que je me suis mise
à réaliser des livres d’artistes. Mes livres, ils se rattachent à
plein de choses. Ils prennent des formes très diverses et peuvent
même être des rouleaux : Le « volumen », qui se
déroule et se lit horizontalement, et le « rotulus » qui
se déroule verticalement. Ce qui me plaît, c’est d’utiliser les
formes historiques du livre et de les réinvestir à l’époque
moderne. Je fais aussi des livres avec beaucoup de pliages, ce sont
souvent des livres liés à la poésie. Ils sont tirés en édition
très limitée. Un de mes livres « Qui amavit cras amet »
m’a été acheté par la bibliothèque palatine de Parme. Il
contient des citations d’Anaïs Nin. Un objet érotique par
excellence ! Page après page, on le fouille du regard.
Certains
pliages sont très originaux. C’est le cas d’un livre d’artiste
« On n’en finit pas de tomber ». Une « estampe
numérique » qui combine un montage photo et des personnages
qui tombent, en surimpression. Déplié en accordéon, certaines
pages forment deux gratte-ciel, en référence aux « Twin
Towers ». On y lit des extraits de textes de Ludovic Degroote,
poète contemporain « D’aucuns
ramassent des morceaux du monde, quoiqu’il n’y ait rien à
réparer ».
Vous écrivez aussi les textes ?
- C’est quelque chose qui s’est
révélé avec le livre. Ce qui m’importe, c’est la dimension
expressive. Les textes sont écrits soit par moi-même, soit sont
empruntés à des auteurs dont j’apprécie l’humour acide, les
non-sens, tels qu’Alphonse Allais, Alfred Jarry, Henri Michaux.
« Le livre est un ensemble
d’éléments. Libre à soi de les perturber, de les amplifier de
manière inattendue, ou de les réduire à l’intime. Libre à soi
d’en trahir le sens. Métaphore humaine par idéal, le livre est
une promesse de mémoire, une parabole ».
Elle
nous montre un autre livre, avec des personnages qui folâtrent sur
de longues pages et des phrases surréalistes qui ondulent et
s’enchevêtrent. Son titre : « Autrement
dit, je suis définitivement provisoire ».
« Je fais un livre comme
d’autres font des tableaux. Je trouve que c’est une liberté
totale, dans la forme, le contenu. C’est une collaboration, une
amitié, entre un auteur, un poète et moi ».
Je vois des objets gravés qui ne
sont ni des estampes ni des livres ?
- J’utilise aussi la gravure pour
faire des performances. Avec la gravure, on peut réaliser plein de
choses. J’ai parfois l’impression que lorsque je grave, je
rejoins les objets qui m’ont fascinée quand j’étais enfant.
On
suit l’artiste à travers son atelier et la partie galerie
d’exposition. Sur un meuble, une gravure, enroulée, est placée
sous un globe de verre et sur une gravure déformée, comme une sorte
d’anamorphose. Plus loin, sur une table, est posée une tour en
plaques transparentes :
« C’est la maquette de la bibliothèque de Babel que décrit José Luis Borgès : Toutes les salles hexagonales sont disposées de façon identiques ».
Merci à Françoise Lapeyre pour la qualité de ses articles et de ses photos et pour ses questions toujours judicieuses ... « C’est la maquette de la bibliothèque de Babel que décrit José Luis Borgès : Toutes les salles hexagonales sont disposées de façon identiques ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire