Dauphine de Cambre en parle :
Le trouble regard des spectres
Se saisissant de vieilles photos d’enfants, de jeunes filles, de femmes, l’artiste en sclérose les visages, les marbrant comme ceux des morts tout juste trépassés, les ranimant d’un regard de spectre ou de démon, selon qu’ils évoquent la porcelaine, le verre ou l’onyx. Voilées ou scintillantes, ces pupilles dilatées dévorent la face, questionnant l’éternité, envieuses des vivants qui les contemplent, résignées dans leurs passivités de modèles.
Comment ne pas évoquer Le Portrait ovale de Poe, l’art de la photographie mortuaire chère aux victoriens, la petite Rosaria Lombardo qui n’en finit plus de se décomposer dans son cercueil de verre, au fond de la crypte des Capucins de Palerme. Intacte et comme endormie en surface, cireuse et figée par l’embaumement. Si elle ouvrait les yeux, la petite fille aurait certainement le trouble regard des spectrales figures de Frédérique Longrée.
Le temps qui lasse…
Pourtant, rien d’agressif ni de menaçant dans ces portraits revisités, juste une immense fatigue, une lassitude face au temps qui n’en finit plus de passer, l’envie que ça s’arrête enfin, que tout redevienne poussière… Peut-être aussi l’infini regret que tous, nous ressentons sans l’avouer, d’avoir tué son enfant intérieur pour se commettre avec le monde, pactiser avec la société et ses concessions multiples.
Ainsi l’univers de Frédérique Longrée se charge d’un romantisme noir particulièrement opaque, où de rares lumières filtrent, pâles et brumeuses. À l’heure du tout Instagram, où les clichés doivent éclater de couleur, de santé, de bonheur, sa mélancolie est presque rafraîchissante, offrant une autre esthétique, qui érafle les épidermes, émiette les masques. Des Vanités modernes en quelque sorte, présageant de la fin inéluctable des choses et de la force essentielle de la mémoire.
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